lundi 30 mai 2016

Jour 29 – Une bédé que tu pensais détester, et a finalement adoré ?

All-Star Superman.


Grant Morrison est un auteur que je n'aime absolument pas. C'est un bourrin. Ca n'a rien de spécialement étonnant pour un scénariste qui sort de l'écurie 2000AD, mais c'est justement tout le soucis : de bons thèmes, d'excellentes histoires, mais aucun raffinement. Je lui trouve la subtilité d'un tank dans un champ de fleurs. Je suis autrement plus partagé sur son compère de toujours, Frank Quitely. Je ne suis définitivement pas un grand amateur de son trait, mais c'est un conteur absolument génial doublé d'un esthète de l'anatomie disfonctionelle, un des rares dessinateurs à savoir raconter quelque chose rien qu'avec une silhouette et un monstre du storytelling que j'ai déjà rapidement évoqué à l'occasion de mes "100 trucs", parlant des cinq premières pages de New X-Men 138. New X-Men, c'est précisément où j'avais connu les deux hommes, et j'avais absolument détesté leur run âpre et (gratuitement) violent, malgré les idées intéressantes du scénariste et la science du découpage de l'artiste.
Pensez-donc si All-Star Superman me faisait peur. Surtout qu'à la même période, Frank Miller et Jim Lee massacraient l'autre grand nom de l'univers DC dans All-Star Batman and Robin, the Boy Wonder (à vos souhaits), et les deux séries étaient surtout marquées par leurs innombrables retards (il aura fallu au total trois ans pour compléter All-Star Superman). Par dessus tout ça, on m'avait vendu l'univers All-Star comme une bête repompe de la ligne Ultimate de chez Marvel, et le côté cash-in était tout sauf tentant.
Pourtant, dans tout ce que je n'aime pas de leurs travaux, je suis tout à fait conscient de leurs qualités, et c'est donc précisément le duo Morrison-Quitely qui m'a poussé à lire la chose, en TPB, une fois la série terminée. Je m'attendais à un Superman brut et sans concession, une version hardboiled du plus grand boy-scout de l'univers bédéphile, et j'ai en fait trouvé la plus belle lettre d'amour qu'on puisse écrire à un super-héros.


La narration fonctionne comme une rétrospective accélérée de ce qui fait Superman, posant les dix (douze? jesaisplus) épisodes plus comme une étude du personnage que comme une véritable histoire, mais il y a pourtant là dedans plus de feuilleton, de légende, d'intrigue et de propos que dans pas mal de trucs qui ont été réalisés sur le personnages réunis. All-Star Superman est dense et fouillé, sans jamais se laisser aller au plaisir vain de la formule, à oublier de raconter des choses. Chaque histoire, autocontenue, explore une tranche du héros, son rôle et son symbole, entre sauvetages de dimensions entières, chats dans les arbres et drames personnels. Au milieu, on trouve quelques-unes des plus belles pages de l'histoire de la bédé nord-américaine.
Je pourrais vous expliquer pourquoi, je pourrais attirer votre attention sur la gaucherie courbée de Clark Kent ("une histoire dans une silhouette", disais-je) et la noblesse grandiose d'une Lois désespérément amoureuse, je pourrais aussi mettre un scan de "la scène" de Regan, mais encore une fois, je vais me contenter d'un mot : Lisez All-Star Superman.

Livrée par un duo d'auteurs sur lequel j'ai rarement de bonnes choses à dire, non contente d'être probablement la meilleure bédé jamais dédiée au grand S, c'est p'tet' même bien la meilleure jamais dédiée à un super-héros tout court. All-Star Superman est une déconstruction de mythe, une étude fantastique de ce qui rend ces personnages si forts et si chers à nos yeux, et aussi et surtout une superbe histoire de plein droit. Tout simplement, All-Star Superman est une grande et belle bédé.

2 commentaires:

  1. ...l'est plus finaud que ton Warren Ellis, là (mais rarement, j'avoue, dans les séries "comics" académiques, où il se fait plaisir, et je lui reproche son manque de style, au niveau du texte pur(comme à Warren Ellis, d'ailleurs).
    Plus sérieusement, les perles dans son oeuvre sont Legion. Outre ses séries phares que je considère comme de purs chef d'oeuvres, mais qui ne peuvent que diviser en toute brutalité, comme The Filth, les Invisibles ou Doom Patrol (mais on peut remonter beaucoup plus loin), on trouve dans ses one shot des choses plus digestes comme son génial Seven Soldiers of Victory (dépoussiérage et réappropriation de personnages oubliés des écuries DC, en croisant 7 mini séries de 3 ou 4 épisodes, je ne sais plus, avec une ouverture et une conclusion bien personnelle^^, une excellente surprise), le meta lovecraftien Nameless (bon, assez bourrin quand même, et loin de la finesse d'Alan Moore dans Providence), le fendard (et Ellisien) Anihilator, l'étrange et plutôt fin Flex Mentallo, le conte assez émouvant Joe l'Aventure Intérieure...etc
    Et bien sûr l'excellent All Star Superman.

    Bon, j'ai ptet oublié de préciser : il est dans mon top 5 niveau scénariste, malgré sa faiblesse sur des séries plus massives

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    1. Ouaip, Ellis est un bourrin aussi, c'est clair (même école, hein, 2000AD, ça laisse des traces), mais quant à savoir qui est le plus finaud...
      Là où tu places The Filth, je vais mettre Global Frequency, là où tu mets les Invisibles, y a Desolation Jones, face à Nameless, le complètement barré Injection...
      Ils jouent sur des spectres de lectures complètement différents. Ellis, il parle à mes entrailles et à mon cerveau ; Morrison, il fait marrer mon amateur de bis chamarré intérieur. Ellis est un as du meta, il joue avec des concepts hors-le-livre qui vont presque en faire un genre d'Alan Moore cyberpunk. C'est rustre et sec, mais la finesse n'est pas réellement dans le scénario ou les dialogues, ni dans ses héros qui sont des concepts bien avant d'être des personnages, elle est dans le sous-texte et les implications.
      Le truc que je concède facilement à Morrison, c'est une qualité pour écrire et caractériser ses personnages. Contrairement à Franck Miller (que je refuse totalement de discuter, ça m'intéresse juste pas, Frank Miller), Grant Morrison est un mec que je lis, avec un certain plaisir, même, mais c'est quand même une grosse baudruche pleine de hype. Il me rappelle un peu Josh Whedon, qui certes est autrement plus pop mais qui a le même défaut : d'excellents dialogues, de superbes relations entre les persos, mais des scenars un peu en deçà qui partent dans tous les sens et manquent résolument de punch (Astonishing X-Men, c'est à la fois l'une des meilleures et des plus rageantes production des années 2000).
      La différence, par rapport à Whedon, c'est que Morrison est une brute - du punch, il en a. Un peu trop, même, et ça part vite en banane. Je le fais souvent marcher en tandem avec Mark Millar (en même temps, Ultimates et New X-Men sont contemporains) dans cette période où le comics code a explosé et où les britons ont pu y aller full-Judge Dredd sur les héros 'ricains. Le résultat a été explosif, neuf, excitant, mais pas franchement concluant au niveau qualité narrative. C'était de l'effet pour dire de faire de l'effet, y a des moment où c'était juste bassement cras.
      Sans dec', quoi, Morrison, c'est le gars qui a foutu une 'trailleuse dans les mains de Vampirella.

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