vendredi 27 mai 2016

Jour 26 – Une bédé que tu voudrais voir adaptée en film ?

Assez tristement, mais fort logiquement par les temps qui courent, quand on pense "film adapté d'une bédé", on pense généralement super-héros. Sauf que les films de supers-héros, moi, j'en peux plus, et, quoique l'idée d'un Valiant Cinematic Universe me chatouille sévèrement, si je devais choisir d'adapter une bédé, j'adapterais un format autocontenu, un roman graphique ou une série limitée. Et dans la catégorie, un en particulier a toujours eu à mes yeux un potentiel cinématographique à crever le plafond : The Chill, de Jason Starr et Michele Bertilorenzi.

Publié sous le label Crime par Vertigo, une collection noir et blanc à la durée de vie aussi courte (2010-2011) que sa qualité était excellente, The Chill est un polar ésotérique plutôt cru, avec des gens fous et des fantômes irlandais dedans.
Le Chill (Le "Frisson" en VF - chez Delcourt, avec une couv' autrement moins classe) est un pouvoir féminin très spécial, puisqu'il permet de "geler" le partenaire de madame au moment du coït. Jusque là, soit, c'est gênant et ça fait peur, mais rien de bien méchant. C'est quand le fantôme familial s'en mêle que ça devient beaucoup plus étrange. Armé d'une lance sacrificielle, il se charge d'envoyer ad patres le malheureux, utilisant l'énergie du sacrifice pour mettre en place le suivant. Deux flics entrent alors en jeu : un jeunot attentionné mais totalement inconscient du "truc qui cloche", et un paumé à la bouteille facile qui sait manifestement ce qui ne tourne pas rond : il l'a déjà vécu.
L'enquête est rondement menée, le trait efficace se chargeant d'animer la chose par gros aplats monochromes comme j'aime, mais ce qui intrigue, surtout, c'est les personnages. S'il n'y a pas grand mystère sur ce qui se passe, la façon dont chacun s'imbrique dans le grand ordre des choses est absolument fascinante, chacun à sa manière avançant inexorablement vers un climax glaçant (huhu). Les victimes du Chill ne sont pas en reste : tous sont, sans exception, d'immondes salopards antipathiques et veules, aux déviances proprement indéfendables et dont la mort, par là même où ils pèchent, s'avère au final cathartique. Une dynamique inversée se crée où la fascination du mal l'emporte bien vite, et on a toutes les peines du monde à ne pas vouloir que mademoiselle Chill ne soit jamais rattrapée. L'épilogue bourré d'ironie roméoetjuliettienne tient en cela du génie, tant par sa simplicité que ses implications directes.
The Chill est joyeusement dégueulasse, complaisant avec lui-même au point de faire son héros de la menace même qu'il met en scène. Cette bédé sait parfaitement ce qu'elle fait et le fait avec un zèle morbide, si bien que chaque personnage rencontré ou presque est un connard grotesque. Il y a les victimes du rituel druidique, bien sûr, mais même le brave flic droit dans ses pompes et propre sur lui n'échappe pas au plaisir manifeste qu'à Jason Starr de faire de ses héros des gros cons : il est un trouduc' m'as-tu-vu sans la moindre idée, connaissance ou compréhension de la situation, et ne doit finalement sa survie qu'au type beurré combattant ses propres fantômes sur lequel il s'acharne depuis le début. Pas de blanc et brillant justicier ici, et si on comprend parfaitement ses motivations, il n'en reste pas moins aussi détestable que les autres. C'est d'ailleurs le gros point fort du bouquin : si la noirceur générale et systématique tient au final surtout du gimmick de narration, toute liberté est laissée au lecteur de s'attacher ou non à ces gens qui sont, en définitive, juste humains. A part le prêtre. Lui, c'est un porc qui n'a que ce qu'il mérite.


Et il va falloir que je m'arrête là sinon je vais ajouter des tas d'exemples rigolos et lire le machin n'aura plus aucune utilité puisque je vais finir par le raconter en entier. Qu'on soit clair, The Chill est ce que Vertigo Crime a produit de meilleur (avec Area 10 de Christos Gage et Dark Entries d'Ian Rankin). C'est surnaturel jusqu'à la moelle, mais c'est aussi définitivement noir. Personne n'est ici pour la justice, et la manière dont chaque élément se met en place a tout du bon thriller druidique joyeusement pop du dimanche soir, avec un plan nichon ou deux pour faire bonne mesure.
La narration est superbe, le dessin splendide, le rythme travaillé et la thématique religieuse iconoclaste larvée offre même un sous-texte propice à plein d'interprétations, mais pas de mystère ici : si The Chill est une excellente bédé au potentiel filmique grandiose, en aucune manière a-t-on affaire à une histoire qui chamboulera le monde. C'est du genre. Du bon.

D'ailleurs, Jason Starr ne faillira jamais à cette appellation, puisque dans la foulée de The Chill, ce romancier de carrière signera Justice Inc. (dans les pages de Doc Savage) chez DC et Punisher et Wolverine MAX chez Marvel.

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