mardi 10 mai 2016

Jour 09 – La scène la plus touchante/poignante/troublante ?

Ca, c'est la question piège par excellence.
J'avais commencé à y répondre par un flot de considérations narratives sur les comics. Voyez-vous, j'n'ai jamais, très honnêtement, été spécialement touché par une scène "à émotion" d'un comic book. La majeure partie m'a même bien au contraire semblé outrageusement forcée (la révélation de l'avortement d'Atom Eve dans Invincible, par exemple) ou totalement anecdotiques, comme la mort de Mary-Jane Parker. C'est en pensant à cette dernière, qui plus est sur un sujet qui commence à prendre beaucoup trop de place dans ce questionnaire, que j'ai commencé à réfléchir plus sérieusement à la question : la mort de MJ n'avait aucun impact parce qu'elle était réglée en trois cases, à la manière du cliffhanger le plus putassier du monde. Par contre, si elle n'avait droit à aucune scène grandiose elle-même, elle avait permis quelques fort belles planches dans les mois qui suivirent (et un développement assez inattendu pour Peter), et surtout un superbe épisode pour... le retour de MJ ! Plus récemment, en 2013, la mort de Damian Wayne m'avait fait le même effet : c'était nul, franchement nul, mais l'épisode suivant, muet, est magnifique, un peu dans le style du superbe 'Nuff Said de Thor suite à la mort d'Odin.
Et je pense que toute l'explication est là : le soucis vient tout simplement du format épisodique. Il m'apparaît en effet plutôt ardu de trouver une scène spécialement touchante, poignante ou troublante, dans un monde où les schémas narratifs gèrent mieux les après-coups des scènes en question.

Alors j'ai réfléchi au versant auto-contenu de l'art séquentiel. Un paquet de scènes issues d'oeuvres plus poétiques me sont venues en tête, comme la fin abyssalement froide du Porcelain de Benjamin Read et Chris Wildgoose, ou la révélation cruelle de The Last Unicorn de Peter Gillis et Renae De Liz (deux bédés que je vous invite fortement à chercher, La Dernière Licorne n'existe chez nous que sous son format romanesque d'origine -par Peter S. Beagle- mais Porcelaine a été traduit chez Delcourt). C'est en pensant parler de cette dernière que m'est revenue une scène finale qui m'avait vraiment marquée. Je me souviens distinctement être resté un bon moment assis avec un sentiment très étrange et un tas de questions une fois l'objet refermé, seulement pour en parler, il me faut faire une nouvelle entorse au caractère nord-américain de ce questionnaire, et surtout, citer une bande dessinée plutôt controversée par chez nous.


En 1998, Tome et Janry avaient eu l'idée complètement folle d'un Spirou réinventé et réaliste. Machine qui rêve est une bédé que j'aime énormément, mais étonnement difficile d'accès. Une histoire étrange, un thriller SF sur fond de clonage dont le découpage rend le scénario particulièrement opaque et dont le sujet-même s'avère difficile à saisir. On ne sait absolument pas ce qui se passe, le dénouement est terriblement brusque et l'ambiance, lourde et froide, n'est absolument pas accueillante. Pourtant, il y a dans ces 48 pages des choses fascinantes et cette ambiance à rebrousse-poil n'en est pas la moins intéressante. Mais j'ai toujours bloqué sur les relations entre les personnages, et surtout le soudain revirement de caractère de Seccotine... Sophie, pardon. Son attirance pour Spirou a quelque chose de terriblement désespéré, et ce final, où elle part en compagnie de son clone en se contentant d'un vague "Tu as besoin de moi" pour raison, est à la réflexion assez effroyable. Une fille paumée et un type qui n'a aucune raison d'exister.
Formellement, ce vrai-faux happy-end n'a rien de grandiose, mais il intervient au terme d'un album très pesant et me laisse systématiquement dans l'état émotionnel d'un accident ferroviaire. Je pense que c'est, de loin, la scène la plus déchirante que j'aie jamais lue en bande dessinée.

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