lundi 9 janvier 2017

Numérique ?

Il y a quelques jours, je suis tombé sur un article plutôt intéressant sur le blog de l'éditeur Walrus, spécialisé dans le pulp numérique.
On y parle du format, des choses qu'il est possible de faire avec le numérique que le papier est incapable de proposer, d'une lecture proche du web-browsing, d'options interactives, de plein de trucs qui sonnent tristement Internet 2.0 à mes oreilles et qui, je pense, loupent totalement le point, mais qu'il est assurément intéressant de discuter (c'est d'ailleurs ce que fait La Bauge Littéraire dans un long article-réponse). Ce qui m'intrigue surtout dans le discours (et ce tant chez Walrus que La Bauge), c'est l'aveu clair que la publication française n'a rien compris au numérique.
Laissez-moi vous exposer mon point de vue médicalement assisté sur la question.


Cette année, j'ai décidé de ne plus acheter de livres. Physiques, s'entend.
Voyez-vous, je déteste la poussière et les petites choses qui s'y développent me détestent en retour. Il y a certains bouquins de ma bibliothèque que je suis absolument incapables d'ouvrir à cause de ça, mais j'ai toujours su, plus ou moins, faire avec. Plus ces derniers mois. J'ai acheté L'Histoire des super-héros de Jean-Michel Ferragatti sur papier parce qu'il n'existe pas en numérique (c'est d'ailleurs seul seul bouquin de mon top11 que je possède en physique), et j'ai pas pu aller au bout. Y a fallu que j'en fasse mon propre scan (enfin, j'ai demandé qu'on m'en fasse un, même ça j'y arrivais pas). L'odeur du papier, de la colle, le nez qui pique et les yeux qui brûlent... Je vous passe les détails, le fait est que le livre papier, pour moi, c'est fini.

Comme un symbole, les dernières reliures que j'aurai acheté auront été celles que j'ai le plus longtemps cherché. Mises sur mon chemin totalement par hasard, les (futures) intégrales de Clark Ashton Smith chez Mnémos sont un rêve de (grand) gosse qui se réalise, après que j'aie passé des années à essayer de dénicher les éditions NéO du monsieur et/ou à le lire dans sa langue, faute de pouvoir me satisfaire des quatre pauvres nouvelles que j'ai de lui dans mes diverses anthologies. Une des raisons même qui ont motivé cet achat était d'ailleurs la présence hypothétique d'éditions numériques dans le lot. Les objets ont l'air superbes, j'adorerai (oui, c'est du futur) les avoir dans ma bibliothèque, mais dès que j'ai vu qu'il y avait des versions de bits et de bytes, j'ai su que je lirai ça sur ma liseuse. Et pourtant, c'était pas sûr du tout qu'il y ai ces fichiers numériques, ils n'étaient qu'un bonus de fin de parcours... Et là est tout mon dilemme depuis quelques années.
Je suis un adopteur (j'ai le droit d'inventer des mots) des premiers jours de la lecture numérique, je fais ça avec les bandes dessinées depuis près d'une décennie et l'encre électronique et le format epub sont probablement mes deux créations (plus ou moins) récentes favorites (avec les textiles hydrophobes, mais ça n'a rien à voir). J'adore l'idée d'avoir ma bibliothèque complète (qui ne comporte d'ailleurs pas tant de bouquins que ça) dans ma poche, j'ai même plus de livres en binaire que de volumes imprimés, en vérité. Sauf que je dois la très très large majorité de ma collection numérique à la gratuité de nombreuses oeuvres du XIXème et du début du XXème siècle désormais libres de droits (au hasard, les Paul d'IvoiGaston LerouxMichel ZévacoRosny aînéArthur Bernède et consort que je cite à l'envi quand il s'agit de pulp francophone) et, surtout, à une flopée de dévoués scanneurs qui se sont mis en tête, par exemple, de reporter sur leurs liseuses la totalité du catalogue Fleuve Noir Anticipation, totalement introuvable hors des cercles pirates. Des vieux trucs, quoi, car la production contemporaine sur le format est pratiquement nulle, et il s'avère que 101% de mes derniers achats de livres physiques se sont fait de dépit ou presque, faute de trouver le livre numérique correspondant. Parfois, c'est logique, comme dans le cas de petites éditions et de formats particuliers (L'Histoire des super-héros, disais-je, quoiqu'en écrivant à monsieur Néofélis, il me disait ne pas être contre l'idée d'une transcription numérique, simplement ignorant), mais souvent, c'est juste bassement frustrant : pourquoi Les Pionniers de la fantasy de Lyon Sprague de Camp (2010 chez Bragelonne) ou Orphée aux étoiles (la biographie de Poul Anderson chez les Humanos) n'existent pas en numérique alors que ces deux éditeurs mettent justement en avant leurs offres dématérialisées ?
Et encore, ce sont là deux éditeurs qui ont ce type d'offre pour commencer, parce que la plupart du temps, le numérique n'est même pas une arrière-pensée. Une des bédés qui m'intriguaient le plus cette année, O Sensei d'Edouard Cour, m'est ainsi passée sous le nez. Pourtant, l'éditeur Akileos a un semblant d'offre numérique, mais comme souvent, la conversion et la distribution sont sous-traités (par Avé!Comics en l'occurrence, qui ne propose qu'une toute petite partie du catalogue, et zéro nouveauté), l'éditeur d'origine ne s'en occupe même pas. La plupart du temps, on ne veut tellement pas voir le numérique qu'il est purement et simplement absent des boutiques en ligne, sur lesquelles on s'attendrait pourtant à le voir mis en avant (au hasard, je vous met au défi de trouver le catalogue epub de Fleuve Noir sur le site de Fleuve Noir - y a pas, tout est chez 12-21, qui se charge de la conversion pour trois ou quatre autres "gros" de l'édition), et quand on en propose, c'est bourré de DRMs et de limitations (l'offre sur Izneo, wannabe concurrent franco-français de ComiXology, par exemple, est restreinte à un horrible lecteur en ligne). Tout ça, une partie de moi est persuadée que c'est du à une chose et une chose seulement, une chose qui fait paniquer le moindre fournisseur de contenu de l'hexagone comme une pucelle devant un drakkar : le piratage. Parce que c'est l'Internet, 'voyez, les Grandes Eaux du grand-banditisme moderne, et par peur que le petit epub de 600k vendu au triple de sa valeur soit immédiatement (et à juste titre?) disponible sur toutes les plate-formes illégales du monde, l'éditeur français préfère tout simplement ne pas le proposer, ou le blinder de saloperies qui le rendent certes "inviolable", mais également incompatible avec de nombreuses liseuses... Quand le fichier n'est pas carrément un chef-d'oeuvre d'incompétence en lui-même, comme l'horrible "réédition" de la Compagnie des Glaces par French Pulp.
Autre problème, outre l'indisponibilité, pourquoi, quand ils le sont, comme c'est le cas pour l'intégrale de La Patrouille du temps ou le dernier volume de L'Oeil de la nuit (pour citer deux parutions de 2016), sont-ils distribués AU MEME PRIX en physique et en numérique ? Ca me parait non seulement totalement injuste mais aussi et surtout totalement illogique. Et c'est d'autant plus agaçant quand on est bilingue et qu'on a la possibilité de comparer avec l'offre anglo-saxonne, largement uniformisée : Tarzan vs Kong ? $5.99 (environ 5,50€ au taux de janvier 2017). Les dragons de Marie Brennan ? $5.99 (contre 10€ au format Kindle pour la VF, que L'Atalante ne fournit même pas lui-même). Un abonnement illimité à ComiXology ? $5.99 (mon royaume pour cette offre hors US!). On trouve aussi un paquet d'offres promotionnelles et gratuites, comme le superbe "club de lecture" de Tor.com, blog éditorial parent de l'éditeur Tor/Forge et devenu sa branche numérique en 2015 (avec une sacrée sélection, c'est là que j'ai pour la première fois entendu parler du Problème à trois corps de Liu Cixin, par exemple).
Evidemment, il y a des exceptions, et le catalogue de petits éditeurs français comme (justement) Walrus est plein de prose à 2,99€ pièce, de même qu'on n'échappe pas, sur le territoire anglophone, à certains tarifs surévalués, comme chez HarperCollins où le prix moyen avoisine les $12.99, mais... C'est Walrus, un éditeur 100% numérique que personne ou presque ne connaissait avant qu'ils se fassent remarquer avec leur sonnette d'alarme imaginaire, et c'est HarperCollins, une boite centenaire avec toute la dimension "luxe" qui lui est rattachée outre-atlantique. Je râle sur les prix, parce que, globalement, la différence entre les offres nord-américaines et françaises varie du simple au double, mais, disais-je, le premier critère reste le catalogue proposé : le Ferragatti, j'en aurais acheté le numérique au prix du papier sans me poser de question, et quand je vois les Selected nonfictions de Neil Gaiman à treize dollars chez HarperCollins, ça me parait cher, mais pas excessif vu le contenu du bouquin... Entre ça et une poperie random démarrant une énième tri/penta/décalogie post-Tolkien comme le Guerre et dinosaures de Victor Milan à 18€ chez Fleuve Noir (ou plutôt, disais-je, chez 12-21) alors que sa VO vaut $6, y a quand même une sacrée marge.

Je lis sur mon ordinateur et/ou ma liseuse depuis des années et je n'ai jamais eu à m'en plaindre, certes, mais j'ai toujours pu me reporter sur le papier pour ce que je ne trouvais pas et/ou était trop cher en epub. Je n'ai pas choisi de passer au tout numérique, j'y ai été plus ou moins contraint au fil des années, et ce ne sont certainement pas les disponibilités ou les politiques tarifaires qui m'y ont poussé. Quoique j'aie fini par me décider à sauter le pas, je sais pertinemment que je me ferme ainsi une grande partie du paysage éditorial.

Parce que, pour répondre à la demi-question de monsieur Walrus, le problème de l'édition numérique, ce n'est pas le format, ça n'a jamais été le format, c'est beaucoup plus simple et premier degré que ça : c'est la qualité de ce qu'on propose aux lecteurs, à quel prix, et le fait qu'il est souvent tout bonnement impossible de trouver ce qu'on cherche.
Le problème, c'est l'éditeur, mais allez faire comprendre à une maison qui fait du papier depuis des décennies qu'elle n'a rien compris au numérique et qu'elle doit revoir sa politique... Non, c'est plus simple d'incriminer les hypothétiques pirates et d'invoquer les chiffres de vente ridicules d'un catalogue famélique pour justifier que "ça marche pas". Et tant que les éditeurs joueront à l'autruche sur leurs propres lacunes, l'offre numérique française restera ce qu'elle est.
Et ce qu'elle est est juste pleinement et simplement minable.

mardi 3 janvier 2017

Onze... films de 2016

Après la littérature, le cinéma.
Et 2016 fut un excellent cru. Je n'avais pas vécu une année aussi cinématographiquement exaltante depuis un bout de temps. 'Faut aussi dire que j'ai pas vraiment profité du cinéma depuis un bout de temps. Il y a encore quelques années de ça, j'habitais à 500m d'un cinéma de quartier au tarif plancher, et sans compter les affres du transport campagnard, je suis moyen chaud pour bouger à 30bornes et dépenser 19€ pour aller voir des trucs à la qualité somme toute relative (surtout en VF...). Ainsi donc, si mes goûts n'ont foncièrement pas changé (et sont les même qu'en littérature, en toute logique), j'en profite assurément nettement moins, me retranchant sur une VOD au facteur eye-candy autrement plus limité et aux dates de sorties assez aléatoires. Toutefois, disais-je, cette année fut exaltante, diablement fun, et rattrape un exercice 2015 pour lequel je ne faisais pas encore de top mais que j'avais trouvé absolument dégueulasse. J'ai pris un pied monumental à regarder des romances SF mielleuses au ras des pâquerettes, des aventures de l'ouest bêtes comme un canon de peacemaker, des rocambolesqueries junglesques ultra communicatives, et tout un tas de trucs dont je connaissais la bassesse avant même d'en voir la moindre image ; et si j'ai vu parmi tous ces films des tas de trucs bien plus malins qu'ils n'y semblaient, chacun d'eux m'a aussi et avant tout comblé au delà de mes plus pop espérances.
Et comme pour les livres, ils seront rangés sans ordre de préférence, par date de sortie. (Et par simplicité, je donne les titres en VO.)


Synchronicity (22 janvier)
Je suis tombé par hasard sur Synchronicity, film low-budget présenté en avant première au Fantasia International Film Festival en juillet dernier et sorti officiellement cet hiver en VOD. La présence de Michael Ironside m'avait tenté, la promesse d'une histoire d'amour temporelle intrigué, et vers la vingtième minute, j'étais juste scotché à mon écran. Film d'ambiance bleuté se passant dans des années 80 indisctinctes, Synchronicity aborde le voyage dans le temps de manière fort actuelle (et réaliste, quoique totalement inexacte) tout en surfant sur toute une vague de visuels ultra-codifiés de la SF de la période qu'il réimagine, des intérieurs à la Highlander 2 (la chambre d'Abby, c'est l'appart de Connor) aux néons blafards dans des rues enfumées. La musique, tout comme le rythme, emprunte (voire pompe) Blade Runner, et tout baigne dans une atmosphère étrangement commune tandis que le scénario s'amuse avec des cordes qui n'ont rien de quantiques. Et j'adore quand je devine la fin d'un film à sa cinquième minute mais qu'il arrive quand même à me surprendre par la façon dont il la révèle. Prévisible, mais esthétique, bien monté et envoûtant, Synchronicity enfonce largement les espérances de son statut sans-le-sous et, sous couvert de SF dure et de course à la technologie, propose effectivement une jolie histoire d'amour.

Jane Got a Gun (27 janvier)
Quand j'ai vu ce film début juin, au bout de la nuit et de l'ennui, je ne m'attendais à rien. Le trailer était chouette, mais en me renseignant un peu, j'avais vu que sa production avait été un long purgatoire, avec 45 changements de cast, le départ de sa réalisatrice la veille du début du tournage et la perte du directeur photo. D'un film de femmes par des femmes, porté depuis le début par son actrice principale, Jane Got a Gun est devenu un truc hybride qui a encore pris deux ans après son premier coup de clap pour voir le jour. Le résultat ? Un slow burn basique de défense de maison avec des personnages forts en gueules, un western sec et froid curieusement contemplatif à la mode de maintenant, ouvertement féministe, fait de tensions muettes et dont le coeur/retournement "rien de tout cela ne serait arrivé si on n'avait pas été cons sept ans avant" n'empêche pas d'avancer malgré la tristesse de la réalisation. Portman y campe une dame autrement moins bête et putassière que la Annie Caulder de Raquel Welch (ce qui me faisait le plus peur vu le pitch), et la simplicité du récit offre beaucoup de place à des héros durs et meurtris mais franchement attachants. Ca ne porte honnêtement pas loin, mais c'est impeccablement construit et raconté. Et puis l'épilogue me fait craquer, et dans l'ouest lugubre et poussiéreux du film, le contraste est juste superbe.

Gods of Egypt (24 fevrier)
Dans mon intro, je disais "conneries communicatives dont je connaissais la bassesse [avant d'entrer dans la salle]", mais Gods of Egypt est vraiment un poisson à part dans le grand océan des bêtises hollywoodiennes de l'année. Après son mondialement décrié premier trailer, ce film était tellement sur ma liste que c'en était royalement injuste pour toutes les perles de substance que nous a offert le 7eme Art, mais j'en avais tout aussi royalement rien à cirer. Je devais voir ça. Le pire, c'est que je m'attendais "juste" à un film bête et niais, je le voyais comme un Roland Emmerich des nineties, un blockbuster positif et fun prompt à me rappeler quand j'étais môme et que je regardais des "films d'aventure" sans autre prétention que le divertissement. Sauf que non. Oooooh non. Avec ce croisement aléatoire et pourtant tellement logique entre Stargate, Les Chevaliers du Zodiaque et God of War, Alex Proyas accouche d'un engin délirant que jamais je n'aurais cru voir en 2016 dans un blockbuster à 250millions de dollars. Certes, la critique y aura vu un film bancal, basique, bête comme ses pieds et dont la moitié des acteurs ont l'air de se foutre (eux aussi) royalement (Butler excessif en rageux binaire, Jaimie Lanister juste vide, Black Panther gaybotine comme un cochon et Geoffrey Rush fait des grimaces devant un fond vert à chacune de ses apparitions), mais c'est oublier l'insanité globale du machin et le sérieux confondant avec lequel il est mis en scène, qui parviennent à emporter allez savoir comment cette indicible adhésion de grande gamelle involontaire. Son scénar' de jeu vidéo et son visuel bariolé de toku nippon en font de ces divertissements croustillants du samedi soir entre potes. J'étais dedans et parfaitement au fait de la bêtise intrisèque à l'entreprise rien que sur le principe bête et méchant des dieux à mi chemin entre des Transformers et des Chevaliers d'or ('faut tellement une version alternative avec un générique de Bernard Minet), mais c'est bien le ton du film, complètement premier degré, qui lui vaut sa place ici - avec Gods of Egypt, j'ai vécu un vrai grand et incroyablement improbable moment de cinéma : j'ai vu, de mes propres yeux, la naissance d'un nanar. Si. Un nanar en puissance, pur, la définition même du terme, le truc pas fait exprès, tourné avec une foi inébranlable mais finalement désespérément foiré, fauché, baroque jusqu'à l'absurde et complètement n'importe-quoi qui prend totalement par surprise. Gods of Egypt rate, puissance mille, absolument tout ce qu'il entreprend, et la chute est tout bonnement hallucinante de drôlerie accidentelle. Ce pauvre Alex Proyas est définitivement convaincu d'avoir fait un beau et bon film en hommage puissant à sa belle Egypte, et moi, je sais que la seule gloire qu'il aura jamais, c'est une page sur Nanarland et une place de choix dans un étal de vidéoclub ; une gloire de bonbon mou trop sucré parfum foirade de l'impossible que son premier degré transporte aux frontières de l'exceptionnel, un dérapage totalement incontrôlé qui accouche d'un objet cinéphilique d'une autre galaxie, un carnaval insensé et kitsch qu'on regarde ébahi (et mort de rire) en se demandant "comment ?"

The Jungle Book (13 avril)
Les premiers singes de l'année, parfait apéritif avant Tarzan ? J'étais pas sûr. Je partais avec beaucoup de curiosité mais aussi d'appréhension, les bande annonces me laissant un a-priori hyper négatif sur son traitement graphique. Ca avait l'air réaliste jusqu'à la faute, très, trop sombre (genre "grim&gritty post-Nolan des années 2010 ultracontrastées" sombre), avec des animaux aux allures de véritables monstres fantastiques. Ca me rappelait le Legend de Ridley Scott (un de mes pires souvenirs de jeunesse), un film au prémice du dimanche matin que le ton et le graphisme rendaient tout simplement insupportable à mes yeux. J'ai aussi eu peur du "syndrome Maléfique" et du film qui ne va pas au bout de son idée... Et au final... Au final, c'est un très très bon remake d'un très très bon film (surtout que, à cinquante ans d'intervalle, y a prescription). Les deux univers, l'enfantin et le réaliste, se télescopent bel et bien (les premières minutes sont très étranges) mais le film trouve un équilibre quasi contre-nature entre les deux (au moment de la scène du rocher de la paix, en fait), parvenant à émerveiller autant qu'à effrayer sans jamais donner l'impression d'aller vers l'un ou l'autre au hasard, jusqu'à un final enflammé honnêtement surprenant où les rôles s'inversent pendant une fraction de seconde. Le Livre de la jungle nouvelle formule a beau présenter des animaux et une jungle true-to-life, l'histoire reste bigger-than, fantaisiste et fraîche dans sa caractérisation, dans une jungle pleine de couleurs, avec des personnages attachants, beaucoup d'humour, s'offrant même deux chansons qui n'ont strictement rien à foutre là (Bare Necessities passe encore, mais Walken qui récite I Wanna Be Like You, c'est deux pleines minutes de torture), et ses monstres ne peuvent rien devant la majesté et la féérie de la jungle (les éléphants, bordel...). Peut-être que je l'apprécie d'autant plus que j'avais très peur de le voir, qui sait, toujours est-il que j'en ai pris plein les yeux (j'aurais même voulu plus de Kaa, qui était le perso que je craignais le plus, pour d'évidentes johansonesques raisons) et que je l'ai revu deux ou trois fois depuis avec le même plaisir. Ce film est remarquablement beau, et ça n'a l'air de rien, mais le gamin qui joue Mowgli s'éclate comme un fou, ça se voit, et en tant que seul humain du casting, son plaisir est ultra communicatif. Le pire dans tout ça, c'est que ce film que j'attendais comme apéritif négligeable et qui m'a tant surpris s'est bel et bien être avéré le parfait pendant de Tarzan, mais à l'envers, parce que Tarzan, c'était très très très très très très (très très...) nul.

Criminal (4 mai)
Un jour, avec ma maman et ma p'tite soeur, on a décidé de passer un après-midi polar au ciné. Moi, je voulais voir Kevin Costner avec les souvenirs d'un espion casser des bras comme un Liam Neeson toxicomane, et j'ai laissé ma maman et ma p'tite soeur choisir l'autre. Permettez-moi d'appuyer sur le goût particulièrement exquis de ces dames, qui ont choisi Money Monster, un thriller économique sur fond de prise d'otage étonnement solide, sinon convenu, qui propose quelques vrais instants d'accrochage à son siège et présente Jodie Foster comme une réalisatrice à suivre. Après avoir vu les deux films, j'avais même mis Money Monster à cette même place, définitivement le meilleur film des deux. Sauf qu'au moment de finaliser ma liste, j'avais oublié Money Monster, alors que Criminal m'était fermement resté en tête. J'aime Costner environ mille fois plus que Roberts et Clooney, ce qui aide forcément, et le prémice en lui-même m'intéressait de toute façon beaucoup plus à la base, mais si je ne peux aujourd'hui décemment pas faire cette liste sans ce film, en sortant de la salle, j'étais beaucoup plus mitigé. J'avais un (plusieurs) gros soucis sur le rythme, l'originalité toute relative du scénario et le côté résolument cliché de nombreux éléments clés du récit qui le faisaient passer pour un bête film d'action rédempteur au bon fond assumé qui voit le pire des salopards sauvé par la justesse d'un autre parti trop tôt. C'est à la réflexion, à l'impact résiduel, que Criminal prend toute sa valeur. Il y a quelques images très fortes, des échanges vraiment superbes entre Costner et Gadot, et le dernier plan, qui m'avait vraiment mis mal à l'aise au cinéma et que je trouve toujours profondément creepy, a fini par emporter mon indéfectible adhésion à force d'y penser. Je me suis aussi rendu compte que son réalisateur était l'auteur de The Iceman, aux thématiques très proches, plein de ces scènes "beauté du mal" très dérangeantes, et lui aussi servi par un casting cinq étoiles, remettant à rebours pas mal d'éléments en place. Criminal est une course-poursuite spy-fy prévisible mais beaucoup moins terre-à-terre qu'il n'y parait, à la cinématographie efficace quoiqu'inégale, qui me laisse éminemment partagé sur ses qualités narratives mais qui fait définitivement partie de ces films qui restent en tête pour plein de bonnes raisons. Et je ne pouvais pas ne pas en parler.

Equals (26 mai en VOD, initialement présenté en septembre 2015 à la Mostra de Venise)
I'm a sucker for scifi romance, j'l'ai d'ja dit ; Ex Machina m'avait presque fait tomber pour un robot l'an dernier (c'est très rigolo de se souvenir de ça quand, quelques mois avant d'écrire ces lignes, on a lu Les Androides rêvent-ils de titres à rallonge en entier pour la première fois et qu'on s'est dit que, si c'était nous, on serait parti avec Rachel), et j'ai la malchance(?) de réellement apprécier Kristen Stewart, alors... J'ai tenté. Mélange entre un Gattaca moderne, des restants de THX et un monde 1984ien délateur au possible, tourné dans ce que je suis persuadé être des leftovers du The Island de Michael Bay, Equals a un monde qui n'a pas beaucoup de sens, et... C'est pas grave, en fait. La bande annonce m'avait filé des frissons hypernégatifs de souvenir Equilibriumiens avec son "no emotions" un peu beaucoup passionnément basique, mais le monde froid et sans vie d'Equals fonctionne grâce à une humanité génétiquement modifiée où l'empathie est, au sens premier, une maladie dégénérative (dont l'imagerie résonne curieusement TRES fort dedans mon intérieur de moi-même) et le film traite le sujet émotionnel comme central. On échappe donc sans peine aux plotholes où on se demande comment des gens font pour se marier et avoir des gosses dans une société où ils prennent tous des medocs antisentiments, et le résultat est une ambiance réellement glaçante. La mise en scène suit, c'est très arty, clipesque, avec un fond sonore entre classique aérien et post-rock cristallin et des flous artistiques colorés filmés caméra au poing, instables et super près des gens, avec un relent insécure désorientant et voyeuriste. Au milieu de ça, une romance un peu niaise mais puissante et bien amenée (et qui passe d'autant mieux que Hoult est un illustrateur, donc déjà susceptible d'être plus désinhibé que ses collègues et avec un moyen de s'exprimer). C'est pas grandiose, mais c'est beau, touchant de simplicité, et ça me fait des choses le long de la colonne vertébrale (le final...). C'est, de loin, le film qui m'est le plus revenu en tête cette année, celui que j'ai le plus revu, que j'ai pris le plus de plaisir à revoir, j'en ai écouté la bande son en boucle, et je pense très sincèrement que c'est mon film favori de 2016. Yea. I am a sucker for sci-fi romance.

Kubo and the Two Strings (13 aout)
Le studio Laika n'est pas tenu par des manches. A l'oeuvre sur Coraline, Paranorman et The Box Trolls, ayant été formé à la grande école d'Henry Jamesetlapèchegéante Selick, Kubo était pourtant leur premier film entièrement réalisé in-house, avec Travis Lnight, lead-animateur, en guise de réal. Le résultat ? Breath-fuckin-tacking. Et vous me pardonnerez la grossièreté. Kubo est beau, épique, fourmillant d'idées, avec un graphisme ciselé (quoique tourné sur fond vert et rehaussé de CGI, le stop motion reste indéniablement palpable et la patte Selick est bien plus présente que dans un Paranorman, par exemple), un casting vocal cinq étoiles et une bande-son absolument magique. Sous le déluge de superlatifs ? Un conte pour enfants sombre mais drôle et gai, habituel de la firme, n'épargnant ni douleur ni cruauté, narré quasiment à la première personne (l'intro est superbe), avec toujours cette touche de fantastique horrifique hyper-référencé, jouant cette fois-ci des monstres nippons pour ajouter à la surprise. Et puis c'est beau. Vraiment beau (du genre à faire regretter de pas l'avoir vu au ciné, même si le dévédé m'a permis de faire pause à tout bout de champ pour regarder les décors - sans rire). On n'atteint, scénaristes et réals étant loin d'en avoir le bagage, pas le niveau de maîtrise d'un Coraline (l'histoire est aussi beaucoup plus convenue, une simple quête initiatique avec ses persos et situations classiques), mais il y a ce "truc" incertain qui rend le voyage, tout prévisible qu'il soit, toujours merveilleux.

The Magnificent Seven (28 septembre)
L'idée me plaisait, le réal me plaisait, le cast me plaisait, les trailers me plaisaient... Le film m'a plu. Aussi simple que ça. Les Sept mercenaires nouvelle version n'a aucune utilité, et c'est précisément tout son intérêt. Le plot est connu (et pas que par l'original, lui-même un remake, et dont le prémice a été repris 115mille fois depuis) mais il y a justement un côté diablement engageant dans cet espèce de cocon scénaristique et caracteriel qui fait que le truc fonctionne. A mort. Ce film est convenu, prévisible et, pour être honnête, très artificiel, mais il a du style et pue la badasserie par tous les pores, espèce de spagh' ultra moderne avec une collection de gueules telle que j'en avais pas vu depuis Sergio Leone et des idées de mise en scène dont la démesure se dispute à l'archétypage (et une musique...). Souvent, il en prend des allures de bédé, bien aidé en ça par une colorimétrie jaunâsse de vieux pulp et des contrastes totalement exagérés. Les héros sont au diapason, Denzel transpire la classe, Pratt est fun, Ethan Hawke fait merveille en sniper hanté, les méchants sont ultra méchants et over-the-top, et si on oublie vite les autres persos, il leur reste quand même assez de temps d'écran (et de chara-design iconique) pour une scène d'anthologie ou deux (j'aime tout spécialement le fait qu'ils aient repris certains gimmicks des originaux mais aient construits des persos totalement différents avec - D'Onofrio et Storm Shadow, notamment). Bon, pour sûr, c'est pas Hell or High Water (sublime western moderne), vous n'allez pas voir Les Sept mercenaires en 2016 pour recevoir le même genre de baffe que pouvait mettre Les Sept mercenaires de 1960, vous y allez pour vous souvenir de la baffe en question. Ce film est un trip nostalgique et gamin, gratuit et désinvolte, le genre de prod' qui démarre autour d'un verre en disant "Hé, viens on fait ça, comme quand on était mômes", et qui le fait superbement bien. C'est pas con, pas prétentieux non plus, c'est juste pour le plaisir. Et en ça, je retrouve Antoine Fuqua : son King Arthur m'avait rappelé pourquoi j'aimais les peplums, ses Sept mercenaires me rappellent pourquoi j'aime les westerns. Et bordel j'aime les westerns.

The Accountant (14 octobre)
Que voila un film intrigant, et le dernier à avoir fait la liste, en vérité. Je pense ne plus avoir besoin d'exprimer mon soft spot pour la spy-fy et les techno-thrillers, j'suis un gamin des films d'action des nineties et j'ai grandi pour en apprécier les évolutions techniques et esthétiques modernes, mais ce goût m'a souvent joué des tours, surtout quand le genre et ses tropes partent tellement dans tous les sens qu'on a encore du mal à savoir si c'est bien de la spy-fy ou du techno-thriller. En l'occurrence, ici, on est plutôt dans le giron pleinement action/one-man-army/pan-pan-boum-boum du truc, puisque plane une (gigantesque) ombre curieusement old-school mais néanmoins très moderne dans la mystéro-Bournerie que cette histoire de tueur-banquier laissait imaginer : John Wick. Difficile en effet de ne pas voir le spectre du nouveau nom de Keanu dans chaque placement de caméra ultra-léché, dans la précision mathématique du personnage comme de ses plans d'action, et dans la violence au visage froid qu'il décharge sans prévenir... De là vient aussi ce qui est à mon goût le pire défaut du film (faire de l'autisme un superpouvoir), mais comme chez Wick, comme chez Bourne et comme chez tous ces héros qui ont à leur manière redynamisé nos films d'action, ça marche dans la logique interne du récit. Et le perso est vraiment bon ! Certes, il est absurde, le prémice même est absurde, mais une fois l'incrédulité suspendue, il marche : c'est pas vraiment un super-héros, c'est un soliste un peu égoïste, sa condition le rend distant et fuyant, il est cheval entre son éducation rude et son hypersensibilité, et il a juste une manière plus qu'évocatrice de la décharger. Il est présenté si sérieusement qu'on n'a pas vraiment l'idée de s'arrêter pour se dire "Hé mais c'est n'importe-quoi". On accepte, parce que c'est comme ça. Et c'est tout ce côté premier degré qui fait le sel de ce genre de pièce au cinéma : parfois ça foire et ça donne Gods of Egypt, parfois ça marche et ça donne The Accountant (ou Mr Wolff en VF, parce que "Le Comptable" ça sonne pas assez badass, je suppose). The Accountant est un suiveur, il n'a rien de révolutionnaire, n'ayant ni la pertinence surprise de son inspiration ni même l'intention de l'avoir ; non, il s'inscrit dans la pure exploitation, et toute la question, c'est de la faire bien. Et The Accountant le fait bien, soigneusement codifié et réalisé (par un monsieur qui n'est pas un manche, d'ailleurs, puisqu'on doit aussi à Gavin O'Connor des trucs comme Warrior ou (tiens tiens) Jane Got a Gun - à croire qu'il est un spécialiste des projets blacklist), exploitant tant les défauts attendus que les qualités expectés de ce genre de production (jusqu'au final revelations-heavy à en devenir ridicule), avec pour principal effet (à part de m'avoir rendu salement impatient de voir John Wick 2 -genre, encore plus que le simple fait de savoir que John Wick 2 va sortir putain-,ce qui, dans sa catégorie d'actionner premier degré badass et cool, est déjà un compliment) de conforter l'amateur du genre dans le fait qu'il aime ces films. Ouaip, encore un film "zone de confort", à croire que j'ai vu que ça cette année...

Jack Reacher: Never go Back (21 octobre)
On m'avait dit et j'avais lu tellement de mal de ce film que je l'ai vu, si en pas en traînant les pieds (Jack Reacher fut de mes favoris de 2012 et j'attendais quand même sa suite, malgré l'absence de Christopher McQuarrie aux manettes, avec beaucoup de curiosité), au moins avec un fort a-priori. Quelle charmante surprise, alors, quand le film s'avère, à défaut d'être spécialement marquant, au moins compétent et conscient de ce qu'il fait. On se laisse assez facilement embarquer par un trio de héros plutôt bien pensé et agréable à suivre, le méchant très méchant est autrement plus inquiétant que Jai Courtney, et si l'intrigue globale se boucle de manière un peu tire-bouchonnée, c'était de toute façon déjà le cas dans le premier film... Alors quoi ? Pourquoi tant de haine ? Eh bien tout simplement, Never go Back n'a, stylistiquement comme scénaristiquement, pas grand chose à voir avec le premier volet, et la comparaison n'est pas franchement flatteuse. Sans compter qu'il est bien basiquement un moins bon film pour commencer, il souffre surtout d'une rupture de rythme assez flagrante et pas toujours maîtrisée par Edward Zwick, qu'on sait plus à l'aise sur des films plus posés (voir Le Dernier samourai ou Blood Diamond). Ce qui est très drôle et très paradoxal, c'est que son CV en faisait réellement un remplaçant tout désigné à l'esthétisme lent que McQuarrie avait développé sur le premier, mais que, justement, Zwick ne maîtrise pas le rythme imposé par la course-poursuite continue de ce second volet, là où McQuarrie avait parfaitement réussi la transition blockbusteresque sur Mission Impossible 5. De là découle un film un peu bâtard, trop propre et trop calibré, trop "Bournien" pour être honnête (ce qui est très drôle à dire quand, justement, la cuvée Bourne annuelle fut l'un des pires films de l'été), et dont le montage ne fait que souligner les errances d'un scénario qui tente à la fois d'humaniser la figure monolithique de Reacher tout en appuyant sur son côté Terminator invincible, auquel il faut ajouter une intrigue espionne qui était déjà strictement prétexte et bête dans le livre... Et c'est précisément là qu'intervient un détail hors-le-film qu'on oublie vite mais qui m'a frappé : ce côté plan-plan mécanique, purement récréatif ou presque, et le passage d'une histoire à l'autre d'un policier quasi contemplatif à de la grosse baston post-militariste, c'est précisément ce qui fait tout le sel des bouquins de Lee Child, auteur au style pulp cinématographique à souhait qui n'a jamais caché écrire pour le fun et pour le fric. Never go Back est, c'est un fait et je l'ai déjà souligné, moins bon que le précédent, mais il est également une parfaite illustration de son matériau d'origine. Il y a quatre ans, Jack Reacher m'avait donné envie de lire ; cet automne, Never go Back m'a rappelé mes sensations de lecture.

Arrival (11 novembre)
Ben oui, Arrival, bien sûr, Arrival. Bon, qu'on soit clair dès le début, je savais quelle réputation avait le film en y allant, je connaissais l'histoire (la nouvelle d'origine est une de mes références absolues en hard SF), j'étais totalement acquis à sa cause et je voulais qu'il m'en mette plein les yeux. Mon biais n'est pas assez prononcé et je n'suis pas assez cinéphile pour vérifier ou commenter le péremptoire consensus qui voudrait que ce soit "le meilleur film de SF de la décennie" ou "le nouveau 2001", mais ce qui est certain, c'est que question m'en mettre plein les yeux, il ne s'est pas fait prier. On sent, surtout dans la mise en scène des tenants militaires de l'opération, ce qui avait fait le succès de Villeneuve sur Sicario, l'image scotche à son siège et le sound design est proprement terrifiant (jusqu'à friser très sérieusement mes extrêmes misophones et nictophobes), le slow burn courant de l'arrivée au camp de base à l'entrée dans le vaisseau extra-terrestre étant probablement, oui, la meilleure pièce de cinéma de l'année. Mais il y a un mais. Parce que la comparaison avec Sicario peut être étendue à tout le film, en fait. Sa structure, son rythme, son découpage, son montage, sa musique, ses personnages, tout. De fait, tant qu'il est question de raconter avec des images (les imbrications des flashbacks/forwards et la confusion temporelle de Louise, par exemple), Villeneuve fait un boulot magistral, mais sa narration hypervisuelle s'accorde (assez logiquement) mal avec une intrigue linguiste étonnement précise, un secret militaire laissé intentionnellement opaque et d'importantes considérations métaphysiques qu'il eut été bon de longuement expliquer, plombant souvent le rythme et diluant peu à peu l'effet boeuf de sa première demi heure. Le scénario semble trop dense, trop touffu pour qu'on en reste à ce brouhaha ambiant, certes parfaitement en phase avec l'état émotionnel d'une héroïne qu'on suit à la première personne, mais qui ne semble jamais réellement maîtrisé (et j'ai tendance à penser que son recours à la voix off est un aveu de faiblesse à ce niveau là). A l'extrême opposé de la première demi-heure de trouve ainsi la dernière, un rush en forme de puzzle -assurément volontairement- incompréhensible dont on récupère certes les pièces maîtresses mais qui laisse de frustrantissimes -et pas tous volontaires- trous, et une partie de moi ne peut s'empêcher de penser que j'ai souvent du à ma connaissance du texte d'origine de boucher ceux qui pleuvent au fil du récit. Reste que Villeneuve sait faire des images, construire des moments et donner de l'impact à ses scènes, et que s'il peine à raconter une histoire, il plante suffisamment de graines dans ses moments forts pour rattraper l'attention parfois glissante de son spectateur (j'avais d'ailleurs aussi eu cette sensation de "ventre mou" au milieu de Sicario, et c'est exactement ce que je craignais sur Arrival) et lui remplir les yeux dès qu'il en a l'occasion. En résulte un bel objet de cinéma, un film effectivement superbe dont les scènes majeures resteront en tête pendant un bout de temps, mais aux faiblesses tout aussi visibles que ses forces. Sa principale qualité, et rafraîchissante originalité, c'est d'être un blockbuster de SF intelligent, sans le moindre coup de poing, une espèce de songe étrange dont le rythme lancinant et la froideur (le réalisme?) ambiante s'accordent aussi paradoxalement que parfaitement à l'improbabilité scénaristique. Je ne sais pas, disais-je, s'il mérite sa dithyrambique réception et sa réputation de futur culte, j'en doute même très certainement, mais il mérite assurément celle qui en fait un bon et beau film, et il a par ailleurs le bon goût de confirmer Villeneuve comme un excellent réalisateur "de l'image" (et ça me pump grave pour Blade Runner 2049, semblant de rien, parce que ça aussi, c'est le genre de film dont je n'attend rien d'autre que du plein les yeux contemplatif - et putain, s'il arrive à avoir son Dune...)

Mentions spéciale
Spartacus (13 mars)
Oui, Spartacus. Y a eu Spartacus au ciné cette année. Mais un Spartacus tout à fait spécial. Voyez-vous, pendant qu'on s'amusait à faire un remake dégueulasse de Ben Hur, j'ai vu un truc très étrange au cinéma cette année. Enfin, étrange... étrange javaisjamaisvuavant, pas étrange bizarre : j'ai été voir un ballet.
Et c'est...... fascinant. Bon, j'ai choisi, hein, j'ai été voir Spartacus, comme ça au moins j'étais sûr d'y trouver un demi intérêt, mais le truc c'est que j'ai vu une des représentations du Bolchoï diffusées au cinéma... Et c'est juste complètement dingue. Ca m'a fait le même genre d'effet que de regarder l'original muet d'un film que je connaissais. Il m'a beaucoup fait penser à ma première vision de Metropolis restauré, par exemple, mais je vais prendre un exemple plus pop et plus parlant : Frankenstein. Le film de 1931 est un remake d'un film muet de 1910, et le screenplay est sensiblement le même, sauf que ça dit rien, c'est du muet, y a juste une bombarde musicale et des gens qui se meuvent à l'écran. Spartacus en ballet, c'est pareil. L'histoire que j'connais, racontée en mouvements amples et affectés. Et narrativement, c'est un truc de dingue. Y manque rien. Toutes les scènes sont super compréhensibles, les danseurs sont tellement expressifs qu'on ne rate absolument rien de qui fomente un mauvais coup ou qui a peur pour l'autre, et dans le même temps, ça virevolte partout, y a des légionnaires qui font des triples axels, des courtisanes qui font des splits par dessus des esclaves prostrés avec emphase, des bergers qui dansent avec des satyres... C'est... Fascinant, ouaip, j'ai pas d'autre mot. Ca compte pas vraiment, mais c'est pourtant la meilleure expérience que j'ai vécue dans un cinéma cette année.


Mentions
Deux docus bédé, d'abord Hergé : à l'ombre de Tintin, portrait comme son nom l'indique du créateur plutôt que de la créature, ce qui n'est pas arrivé souvent (surtout en comparaison du nombre d'études dédiée au petit reporter), puis Lucky Luke - La fabrique du western européen, dédié quant à lui tant aux auteurs qu'au personnage, et surtout à l'impact du cow boy de Morris sur l'imaginaire franco-belge. Zootopia, fun, joli, attachant, avec un putain de bon sujet et beaucoup de finesse, mais tristement incohérent narrativement - et j'aime pas incohérent dans mon polar, même quand les policiers sont des lapins mignons. Warcraft était carrément bon par rapport à la réputation dégueulasse qui le précédait, mais si le graphisme est réussi et le film clairement compétent (en même temps, fiston Bowie n'est pas un branquignol), c'est quand même très moyennement mon délire. Et j'ai regardé Deadpool, au pif, un aprem' d'ennui - c'est très con, pas très bon, narrativement au ras des pâquerettes, trop long (et pourtant ça dure 1h40), la fin pue du tchul et le cassage de quatrième mur à tout bout de champ c'est vraiment très chiant, mais j'ai rigolé comme un stupide d'un bout à l'autre et j'ai pu prouver à mes yeux et mes oreilles que Ryan Reynolds était bel et bien Deadpool en vrai (si, depuis le début, revoyez son Hannibal King dans Blade 3, c'est sidérant), so i guess, hurray ?


J'ai pas de liste d'attente particulière pour l'an prochain (Blade Runner 2049 et John Wick 2, c'tout), aussi finissons avec un mot sur The Legend of Tarzan, si vous le voulez bien.
Pour citer Winnie l'ourson : "oh, misère." Je voulais que ce film marche. Je voulais tellement que ce film marche. Je l'ai même défendu de certaines accusations que je trouvais étranges avant même de l'avoir vu. D'ailleurs, le voir, j'en avais la frousse, les premières images et l'affiche promotionnelle étaient assez dégueu à mon sens. Mais je voulais qu'il marche, j'étais même prêt à me forcer à l'aimer, tant je voulais qu'il venge John Carter. Et... non. Juste non. Merci, sans façon. Je me souviens qu'à l'issue du premier trailer (décembre 2015 quand même), j'avais écrit deux ou trois impressions, comme Margot Robbie qui ressemblait vraiment à cette Jane désespérément amoureuse, toujours en danger mais loin d'être sans ressource, qui vit dans mon imagination (je ne le répéterai jamais assez, Jane n'est pas une princesse en détresse, c'est une cible pour atteindre Tarzan, elle le sait très bien, et elle s'en fout - c'est même précisément la confiance absolue de Jane qui rend l'image même de Tarzan si puissante), comme le design des singes complètement abusé (genre "miniature du King Kong 2005" abusé), et comme je m'attendais à ce que monsieur Waltz cabotine encore plus que dans James Bond. Le tout baignant dans une imagerie exagérément badass qui donnait salement envie et absolument pas du tout à la fois. Du magnifiquement encourageant et de l'affreusement peu engageant en même temps, quoi. La seule chose que je n'avais pas jugée au préalable, c'était Lord Greystoke ; même après cet encart risible où Samuel L. Jackson l'invective dans un salon, je réservais mon avis. Il m'avait l'air apathique et j'avais peur du syndrome Mad Max Fury Road où il serait le fantôme de son propre film, mais je voulais juger sur pièce. Tout ce qui m'intéressait, c'était que ce soit une aventure autocontenue et de ne surtout pas avoir à vivre une énième origin story...
Au final, j'avais bon sur toute la ligne, en bien comme en mal. Par exemple, Margot Robbie. Margot Robbie est Jane Porter, et c'est le seul point positif du film. The Legend of Tarzan est un récit pulp débridé abracadabrantesque, ce qui n'est pas un mal en soi, mais dont les largesses narratives sont quasi impardonnables (le montage est ignoble, c'est le mec qui a fait les derniers Harry Potter, ça s'voit, et c'est pas un compliment) et dont le graphisme oscille difficilement entre l'absolument fantastique (la réunion avec les lions) et le CG ultra fake dégueulasse (absolument tout le reste). Jackson et Waltz sont deux clowns agaçants qui font des monologues inutiles, Djimon Hounsou, pauvre Djimon Hounsou, est le (sous-)méchant le plus inutile de l'univers, et Alex Skarsgård fait peine à voir en Tarzan constamment ballotté entre fiction et réalité, fatigué par sa propre légende et bien mal servi par l'incapacité du scénario à choisir l'un ou l'autre. C'est... pénible. Pénible en tant qu'amateur du personnage, évidemment, mais surtout en tant qu'amateur de cinéma. Y a des "moments", comme ces quelques secondes de retrouvailles avec les lions, ou ce plan dans la bataille finale où Tarzan rattrape Jane au vol et qu'elle se love dans ses bras quasi-instantanément, mais j'ai l'impression qu'il manque des bouts. Le film ne décolle jamais, et visuellement, c'est d'une tristesse... Les feuilles vertes désaturées et la pluie, ça marchait dans l'approche naturaliste d'Hugh Hudson, mais dans ce film tourné à 99% sur fond vert, c'est laid. Sans compter un rendu tout flou à demi éthéré qui ne rend pas service à la qualité plus que discutable des effets spéciaux et dont la lumière me fait penser à tellement de jeux vidéo aux shaders foireux que c'en serait drôle si ce n'était pas si triste.
Et si encore c'était fun ! Mais non. C'est chiant. Rendez-vous compte, ils ont réussi à rendre Tarzan chiant ! Au début du projet, j'imaginais au moins pouvoir en dire qu'il me faisait le même effet que John Carter, "emportant inconditionnellement mon adhésion malgré ses défauts", et c'était probablement le meilleur compliment que je pouvais lui faire, mais je refuse d'insulter John Carter avec ce film. Il l'a bel et bien vengé au box office, mais qualitativement... The Legend of Tarzan est un immense gâchis, un gâchis que je place au même rang que -tiens, tiens- le Mad Max de l'an dernier : des persos que j'adore, un bon cast, quelques chouettes images, mais un film narrativement effroyable, sans âme, creux en contenu, qui pue le fake de synthèse et se révèle au final juste désespérément, tristement et irrémédiablement... mauvais. Je suis amère déception.

lundi 2 janvier 2017

Onze... livres de 2016

Le début d'une nouvelle année, l'heure du bilan de la précédente, l'heure de faire des listes et de raconter des trucs. Ca tombe bien, j'aime bien faire des listes et raconter des trucs.
Après des mois de silence, voici donc une petite sélection très pop et forcément très pulp de mes onze bouquins favoris de 2016, brassant bédés (BEAUCOUP de bédés), romans, nouvelles éparses, recueils, rééditions, non-fiction, physique ou numérique, dans n'importe-quelle langue (que je sais lire, s'entend), peu-t-importe, pourvu qu'ils soient sortis cette année. Pourquoi onze ? Parce que. Et je range ça par date de publication, pas d'ordre de préférence.


Ricardo Delgado - Age of Reptiles: Ancient Egyptians (Dark Horse, 19 janvier)
Celui-là, je l'avais carrément précommandé début décembre 2015, Noël à l'avance pour cadeau en retard. Je n'ai aucune idée de si c'est sorti en VF depuis, et j'ai tendance à penser qu'on s'en fout : dans Age of Reptiles, y a pas de dialogues. Age of Reptiles, c'est le storytelling à l'état brut, sauvage et sans faux col depuis 1993. En même temps, il a le sujet pour, et Ancient Egyptians est définitivement tout là haut avec ses frangins, à la réflexion probablement même mon favori du lot, son accent anecdotique permettant une narration logiquement moins forcée qu'un The Hunt (1996) au background et casting assez épais. L'évolution des couleurs et du design joue également pour beaucoup, tirant parti des découvertes sahariennes récentes autant que de la fin du mythe du Spino comme T-Rex-killer. Ancient Egyptians est l'Age of Reptiles quatrième du nom (sixième en comptant les shorts de 8pages), et il m'apparaît, plus encore que The Journey (2009) qui était déjà un effort colossal sur le sujet, l'épisode de la maturité - graphique et narrative, bien sûr (Delgado est vraiment un maître à donner à étudier dans toutes les bonnes écoles de bédé) mais surtout historique et scientifique : sans totalement renier le pop de ses origines nineties over-the-top, Age of Reptiles est devenu, je pense, le seul vrai documentaire animalier de la planète bédé. D'autant que les crocos géants, moi, ça me parle grave.

Serge Lehman et Gess - L'Oeil de la nuit, volume 3 : Le Druide noir (Delcourt, 20 janvier)
Un jour que je cherchais du pulp à la française, je suis tombé sur cette bédé plus qu'intrigante. Projet (semi-)avorté de ramener le Nyctalope à la vie après son apparition dans La Brigade Chimérique (La Ligue des gentlemen extraordinaires de la littérature francophone, des même auteurs), L'Oeil de la nuit est une réinvention qui sait parfaitement ce qu'elle est et dans quel contexte elle se place, en et hors bédé, abordant le droit à l'image au travers d'un biographe (qui se veut être Jean de La Hire lui-même), nommant Fantômas au détour d'une discussion et plaçant son héros sur les traces de Sâr-dubnotal, un des suiveurs du Nyctalope originel dans la catégorie détective paranormal. Sorte de Doc Strange du Paris des années 10 (avec un arrière goût mignolien plus qu'agréable), jouant avec les ombres comme Judex mais maniant un humour pince sans rire bien plus moderne (une touche de Constantine?), L'Oeil de la nuit est bourré de références pop françaises et donne franchement envie de fouiller dans les archives littéraires de la belle époque. Chose agréable, et ce d'autant plus que je déteste citer des séries incomplètes qui se stoppent en pleine intrigue, quoique volume 3 de sa série, Le Druide noir est une aventure autocontenue (une volonté autant qu'une nécessité après les remous éditoriaux du semi-avortage que j'évoquais au début) et aucune connaissance préalable n'est nécessaire pour suivre L'Oeil de la nuit se lancer à la poursuite de monstres, fantômes et sorciers immortels comme le (super-)héros pulp qu'il est (et à visage découvert, car les héros français d'alors n'avaient pas d'identité secrète). Et puis à la fin, un éther magique, des dieux, des mondes dans les mondes, des destins croisés et des gens qui savent qui ne savent plus vraiment. Du Nyctalope, ces fous ont fait un Planetary de l'occulte ! Et si j'ajoute qu'en lisant les deux premiers tomes à rebours, j'ai vu la momie martienne d'Henri de Parville, croisé Rosny aîné et assisté à la naissance du Futurisme, je pense que la messe est dite... Je n'connaissais pas Serge Lehman, je suis désormais officiellement fan (et c'est pas le long article que je lui ai dédié quelques mois après sa découverte qui prouvera le contraire).

Ben Aggarthy et Adam Brockbank - Mezolith (Archaia, 16 fevrier)
Ou l'exemple même de la réédition qui tombe à point. Mezolith est une bédé sortie en 2010, chapitrée dans un format proche du comics dans The DFC, un hebdomadaire britannique pour enfants, et publiée par Archaia (la filiale arty de Boom!) au coeur de l'hiver de six-ans-plus-tard dans le format de sa version continentale (chez Soleil), un gros paperback de 96 pages. Et tant mieux. D'abord parce que je préfère les paperbacks, mais aussi, surtout, parce que cette bédé aussi contemplative que narrativement serrée profite de ne pas avoir à attendre entre chaque segment. C'est clairement le genre de chose à lire d'une traite, à la fois historique et puissamment mythique (voire mystique), magnifiquement servi par un trait hyperréaliste à l'encrage quasi inexistant et juste ce qu'il faut de recherches paléontologiques (ça reste une publication jeunesse, avec son zeste éducatif) pour la rendre palpable. Mezolith est de ces légendes magiques de temps immémoriaux où le bruit du monde a autant d'importance que celui de ceux qui le peuplent, admirablement bien construite et poussant au fil des pages ce qui semble n'être qu'une suite de scénettes sans véritable lien vers une résolution qui n'aura que rarement mieux porté ce nom - de la fiction préhistorique grand luxe.

Mathieu Bonhomme - L'Homme qui tua Lucky Luke (Lucky Comics, 1er avril)
Il y a... une ambiance bizarre, fantômatique, dans cet album hommage non dénué d'humour mais dont le caractère spagh' ressort avant tout. C'est boueux comme dans un Django (le vrai), y a des grenouilles symboliques, une famille de rouquins véreux, une Laura Legs surprise et un vieux gunslinger malade et hanté nommé Doc. Y a aussi de fort jolies cases aux couleurs franches, un bon character design familier sans être imité (une erreur qu'avait commise la vraie série à la mort de Morris), et une histoire étrangement... réaliste ? L'Homme qui tua Lucky Luke me fait fait penser au Groom vert de gris ou au Journal d'un ingénu de Spirou, une expérience à part, déstabilisante, presque dérangeante, mais ô combien réussie. Un sacré bon western.

Mary et Bryan Talbot - The Red Virgin and the Vision of Utopia (Random House, 5 mai)
Le féminisme est peut être un sujet un peu facile et évident par les temps qui courent, mais la vie de Louise Michel est passionnante et le livre des époux Talbot est une sacrément bonne bédé (en passant, c'est toujours très rigolo de trouver ce genre de récit de la part d'auteurs anglo-saxons, mais pas chez nous). Ce qui est le plus intéressant, c'est la façon dont tout est présenté, au travers d'une rencontre entre deux femmes et de la discussion qu'elles engagent, de dissertations fictionnelles (on y parle science, politique, H.G. Wells et Mary Shelley) en souvenirs romancés de la vie de sa figure titre. Dessins (directement au pinceau, aquarellés, on voit le grain du papier, c'est magique) et dialogues (tout en nuances et en références) sont tout simplement fantastiques, et d'un sujet effectivement "un peu facile et évident par les temps qui courent", les Talbot sortent un récit biographique-mais-pas-que bourré de points d'entrées et de pistes de lectures, passionnant de bout en bout (mais vraiment le bout, les vingt pages d'annexes sont pleines à craquer), aux allures doucement rêveuses, entre exploration idéologique d'une époque et biographie révolutionnaire. Paru en VF chez Vuibert à la mi-septembre, c'est p'tet' bien la meilleure bédé de l'année, tout simplement.

Neil Gaiman - A View From the Cheap Seats: Selected Nonfiction (Harper Collins, 31 mai)
Honnêtement, pour tout ce que j'en parle et ce qu'elle m'influence, j'ai toujours énormément de mal à lire la fiction anglo-saxonne dans le texte en dehors du format séquentiel. Je finis toujours par me noyer dans les pages et les mots, à perdre le sens d'une phrase en cours de route, et malgré tout le bien que je peux dire de mecs pas traduits en français comme Norvell Page ou Will Murray, les affres de la narration anglophones me seront, je crois, à jamais nébuleuses. Les stats de ma liseuse (c'est pratique ces choses là) me disent que j'ai une durée de vie de 15à20pages/session sur un roman en anglais. Pas Plus. Une chose dont je ne me fatigue jamais, en revanche (et je pense que je peux remercier un net à 98% américain pour ça), c'est de lire des gens intelligents accumuler les lignes sur pourquoi tel ou tel truc. La sélection non-romanesque de Neil Gaiman, c'est exactement ça. J'adore Neil Gaiman, j'adore sa prose et ses bédés, il me fait penser à un genre de Tim Burton punk de la littérature, à mi-chemin entre horreur récréative et enfance contemplative (ou l'inverse), mais, genre, bon, sans les tics chiants (j'ai toujours trouvé Burton particulièrement balourd) et autrement plus versatile (de Beowulf aux Loups dans les murs, y a quand même un monde). Neil Gaiman est aussi de ces gens intelligents qui ont réfléchi leur(s) medium(s) avec beaucoup de justesse, de ces gens qui savent des trucs, et les lire réfléchir dessus est juste passionnant. Et moi, qui aborde avant-tout la chose littéraire comme un historien (au cas où le propos de ce blog ne serait pas encore clair), cette démarche ensemblesque et touche-à-tout me fait des trucs spéciaux dans mon cortex et alimente sans cesse ma propre recherche. A View From the Cheap Seats, référence aux places au rabais des stades de base-ball desquelles on distingue à peine le match, porte bien son nom, agglomérat sans véritable sens ni continuité de textes écrits au fil des années par un ex-journaliste devenu un des auteurs britanniques les plus respectés au monde. On y parle de Superman, de Ray Bradbury, de Will Eisner et de Dave McKean, de musique et de cinéma, part dans de longues considérations sur les contes de fées, sur l'art graphique et narratif, sur la construction d'un univers de fiction et la nuance subtile entre "vérité" et "faits", et examine sur une centaine d'essais, blogs, introduction de livres et discours plus ou moins (auto)réflexifs ce qui fait d'un auteur, quel qu'il soit, un auteur. Bourré de pistes critiques et littéraires plus ou moins genresques à explorer avec la juvénile exaltation du lecteur novice découvrant de nouveaux horizons, insistant avec emphase sur l'importance de lire et de se nourrir de ses lectures, A View From the Cheap Seats me rappelle aussi, surtout, pourquoi j'ai tellement envie d'écrire, quel que soit le sujet, quel que soit le moment, quelle que soit la raison.

Alex Nikolavitch - Eschatôn (Les Moutons électriques, 8 juin)
J'aime bien Alex Nikolavitch. On lui doit des trucs aussi variés que des historiques superhéroïques, des chroniques cosmologiques, et Spawn Simonie. C'est aussi un gars dont j'adorais lire les interventions y a dix ans de ça quand je passais 95% de mon temps internet sur les forums de Superpouvoirs. Alors quand je suis tombé par hasard sur ce bouquin, publié quelque part à la fin du printemps (la date exacte est sujette à caution) dans la Bibliothèque voltaïque, la collection random des Moutons aux titres à rallonge, inutile de vous dire que j'étais un poil carrément curieux. Surtout que le synopsis pue les influs du monsieur, concentré (et revendiqué) de pop sulfureuse à la croisée des chemins de Jim Starlin, Warhammer 40k et Lovecraft (et attention, hein, je dis Lovecraft comme dans "gros monstres dimensionnels à tentacules", pas comme "épouvante insidieuse et effondrement des réalités", Eschatôn est un space op' féodo-métaphysique à l'obscurantisme religieux bien bourrin, pas un conte horrifique de la Nouvelle-Angleterre). L'autre truc qui se sent à mort à la lecture, c'est les réflexes bédéastes et vulgarisateurs de son auteur, avec une narration tirant sur la voix-off de bulle carré, des ellipses hyperdécoupées et une tendance à la surexplication techno/théobabillante qui empêchent le récit d'être vraiment fluide (sans compter un style qui jongle brutalement et incessamment entre littéraire affecté et sensationnalisme explosif, et qui, s'il me rappelle avec délice la prose ampoulée du pulp des thirties, pourra surprendre par son apparente lourdeur). Difficile pourtant de bouder son plaisir tant le délire est grand, car Eschatôn est exactement ce qu'il promettait et même un peu plus, Nikolavitch trouvant dans cet épique planétaire aux héros fanatiques plongés dans des batailles strashiptroopiennes le temps de développer des sujets intéressants (voire un peu meta) et un univers salement intrigant. J'suis pas du genre à réclamer des suites (surtout quand l'épilogue laisse aussi peu de doute sur l'impossibilité/inutilité de l'entreprise), mais j'aurais rien contre deux ou trois autres aventures dans cette galaxie furieuse et violente où foi et science (ou science et foi?) ne font qu'un.

Jean-Michel Ferragatti - Les publications américaines en France, l'histoire des super-héros : l'âge d'or (Neofelis, 10 juin)
On oublie souvent qu'il y a un "avant-Lug" dans le domaine super-héroïque hexagonal, et voila un bouquin qui parle en détail des comics des forties, en français de France, dans des périodiques français de France ; un bouquin qui plus est fort élégant, en édition limitée dans un beau format bien lourd (il pèse un petit kilo) et avec une couv' de Jean-Yves Mitton bariolée et kitschoune comme il faut sur laquelle s'élancent le Fantôme d'acier, Judex, le Capitaine Marvel (le vrai) ou la Panthère blonde. A grand renfort d'anecdotes, d'illustrations croustillantes et de bavardages pour amateurs plus ou moins avertis, Jean-Michel Ferragatti (chroniqueur de "French Connection" sur Comic Box) entreprend de narrer aussi précisément que possible une aventure éditoriale complètement folle dans la gloire étoilée d'après-guerre (et de juste avant et de pendant aussi, un peu, mais surtout après), et le fait excellemment bien. J'ai lu ça comme un gamin auquel on raconte des histoires des temps d'avant, sans foncièrement apprendre bien plus que ma propre curiosité ne m'avait fait découvrir, mais j'aurais du mal à retenir ça comme un défaut : c'est didactique et plaisant, plutôt fourni, sans compter que la rareté même de ce type d'exercice complétiste en fait un objet quasiment indispensable pour un paquet de curieux. L'Histoire des super-héros (volume 1?) est un très très bon bouquin, entre checkup de collectionneur et piste de recherche en vulgarisation, à mettre, c'est précisément le but, entre toutes les mains.

Corinna Beckho et Javier Garcia Miranda - Aliens-Vampirella (Dynamite, 27 juillet)
2016 voyait le trentième anniversaire d'Aliens, et, comme Tarzan, difficile de passer une licence dans l'actu sans l'exploiter un poil. Ainsi, pendant que Dark Horse rééditait sa première "suite officielle" (depuis désavouée) au film de Cameron (un truc tout à fait excellent que je voyais pour la première fois en beau noir et blanc tramé des 80's d'origine et pas un scan jaunâtre en 50dpi, et paru en français chez Wetta quasi simultanément), Dynamite s'offrait une rencontre pour le moins étrange entre ce qui reste, en définitive, deux parasites extra-terrestres (mais aux portées ô combien opposées)... Et honnêtement, j'ai beau être super biaisé sur la littérature dédiée à la nosferatu en body-string rouge (celle attachée aux xénomorphes aussi, d'ailleurs), si on m'avait dit quand j'ai commencé à lire que ce truc serait de mon top annuel, je n'l'aurai pas cru, tant le concept même me paraissait abscons. Je veux dire, elle est immortelle, la madame, y a aucun risque, non ? Et pourtant. Situé dans le futur (y a aucune date mais aucun doute non plus), Aliens-Vampirella se passe sur Mars dans une station où "on a trouvé un truc bizarre", sensément en lien avec des vampires. On invite donc la sculpturale brune à y jeter un oeil, et ça part en sucette dans le quart de page qui suit. D'ailleurs, Corinna Beckho (une madame sympathique à laquelle 2016 doit aussi Lords of the Jungle featuring Tarzan and Sheena) a assurément eu la même réaction que moi à l'idée d'envoyer Vampi dans ce merdier, car... elle est la première personne infectée ! Elle survit, évidemment, mais la bête qui lui sort du torse aura droit à quelques upgrades bienvenues pour une course poursuite simple et terriblement bien troussée. J'ai souvent eu l'impression d'un mélange plus que réussi entre Doom et Underworld, avec un pan de mythologie vampirique plutôt chouette et de francs moments de baston acide qui font ressembler l'entreprise à la conjecturale adaptation séquentielle d'un hypothétique vrai bon film d'action fun, rythmé et enlevé, et surtout bien moins idiot qu'il n'y parait, avec juste ce qu'il faut de drame et de développement de personnages. En fait, le seul reproche que j'aurais réellement à faire à cette bédé, c'est que le graphisme soit aussi plat (propre, mais plat - JG Miranda est issu de l'école Zenescope, et c'est pas vraiment un compliment), bien loin de l'ambiance soufrée et pulp des superbes couvertures de Gabriel Hardman (qui avait par ailleurs déjà bossé avec Beckho sur Planet of the Apes)(et oui, "des" covers, parce que j'ai listé l'édition TPB, mais ce truc est originellement paru entre septembre 2015 et février 2016).

Liu Cixin - Le Problème à trois corps (Actes Sud, 6 octobre)
Huit ans. C'est le temps qu'il a fallu à l'héroïne du Problème à trois corps de Liu Cixin pour recevoir une réponse de l'espace, et c'est aussi celui qui fut nécessaire pour que "la révolution de la SF chinoise" parvienne en France, avec une hype terrible et un Hugo à son nom. Il a mis environ soixante pages à me convaincre qu'il était bel et bien ce que la critique en disait et qu'une telle attente n'était en rien imméritée. D'un début en pleine révolution culturelle aux balbutiements de l'ouverture à l'occident, Liu Cixin dresse un portrait cinglant de la politique chinoise sur fond de hard scifi particulièrement poussée (ou est-ce l'inverse?). Car voyez-vous, Le Problème à trois corps tire son titre (aussi bien chez nous qu'en VO) d'une équation gravitationnelle ultra velue, et il ne l'a pas volé, délivrant autant d'informations pratiques vérifiées que de pistes pour les démonter et d'applications farfelues, arrivant presque à faire des communautés scientifiques du monde autant de société secrètes (ce qui, quand on parle politique chinoise, sonne comme un euphémisme). Et quand un de ses personnages annonce gravement, au milieu de ce climat de secrets paranoiaques et à l'issue de ces soixante fameuses pages, que "quelqu'un est en train d'assassiner la science", c'est fini, il devient hors de question de lâcher le bouquin (ou alors, parce qu'on lit au lit au milieu de la nuit, ça force à se lever, à rallumer son ordi et à écrire trois mots sur le sujet - véridique). Je disais à propos de Cheap Seats qu'il me rappelait pourquoi j'écris, eh bien Le Problème à trois corps est l'illustration parfaite de pourquoi je lis : parce que ça me fait réfléchir à plein de trucs, sur plein de sujets différents, en même temps. Didactique, puissant, évocateur et imaginaire (y a même de longs passages oniriques en VR absolument délirants), je pense sincèrement que c'est la meilleure parution SF que j'ai lu depuis un sacré bout de temps (genre, depuis Planetary). Sans rire, j'ai aimé des tas de trucs très pop cette année, mais rien n'a réussi à me retourner le cerveau en m'exposant des tas de théories physiques, en me confrontant à une histoire politique et sociale particulièrement sombre dont l'occident ignore presque tout, et en m'offrant tout à la fois une intrigue homicide extra-terrestre haletante et complètement barrée, au point que j'en redemande. Ca tombe bien, Le Problème à trois corps est une trilogie.

Stjepan Sejic - Sunstone, volumes 4 et 5 (Image Comics, 24 février 2016 et 18 janvier 2017)
Je déteste citer des volumes de fin de cycle à la lourde continuité, je l'ai déjà dit, mais il m'aurait été impossible de ne pas finir sur Sunstone. Impossible. Cette série a, d'une manière ou d'une autre, rythmé mon année fictionnelle. Carrément. C'est que, découverte au coeur de l'hiver via les (trois premiers) volumes reliés par Image/Top Cow (et qui restent la manière la plus agréable de lire Sunstone, ne le cachons pas), la série de Stjepan Seijic est avant-tout un strip en ligne, lisible en entier gratuitement et sans limite sur son compte DeviantArt (avec une pagination tout à fait particulière qui rend l'original numérique au moins aussi intéressant que sa version "professionnelle", d'ailleurs, le modèle choisi par Sejic pour ses strips permettant des compositions verticales assez folles et leur adaptation au format comics offrant quelques variations rythmiques et narratives surprenantes), et moi, fébrilement, j'ai passé mon année à quotidiennement checker la page du monsieur en attendant un nouveau strip avant de filer m'offrir les reliures toutes prop' à leurs sorties. Finalement bouclé fin octobre (et compilé pour juste après les fêtes, et donc listé ici deux semaines à l'avance), ce soap au long court particulièrement attachant (huhu) s'avère, de très loin et à ma très grande surprise, être le meilleur et le plus incroyablement addictif truc que j'ai lu en 2016, tout sujet, support et genre confondu (et ça continue, puisque Sejic a enchaîné la suite, Mercy, dès décembre). Et j'en ai déjà tellement parlé que je pense ne plus avoir besoin d'expliquer pourquoi.


Mentions :
The Big Book of Science fiction des époux Vandermeer, cent cinq nouvelles de vingt neuf pays différents, plus de cent ans de SF dans plus de mille deux cent pages de bonheur. L'Homme qui mit fin à l'histoire de Ken Liu est littéralement le script d'un documentaire sur le voyage dans le temps, et il faut que quelqu'un réalise ce film.  Hellboy in Mexico, intrigant et exaltant interlude (Cthulhu du désert, quoi) qu'il aura fallu six ou sept ans pour compléter. Dessous la montagne des morts de Bones, une mignolardise française de la Première Guerre éditée par Sandawe, le "Kickstarter de la bédé". Wonder Woman: The True Amazon de Jill Johnston, probablement le plus intelligent (et touchant) graphic novel dédié au personnage cette année (et avec le film à venir, y en a eu un paquet). Lucky Penny est une bédé qui n'a AUCUN intérêt si ce n'est celui de vous coller un grand sourire sur les lèvres (et c'est un compliment). Black Magick de Greg Rucka et Nicola Scott, policier fantastique où la fliquette est la sorcière, excellent en tout point sauf un : c'est une série continue et donc ultra dilatée (seule la "première partie du premier arc" est sortie). Dans le même ordre d'idée, le premier volume de l'adaptation du Ravage de Barjavel par Morvan et Walter mérite plein d'attention et l'Injection de Warren Ellis et Declan Shalvey (où des posthumains hackent la réalité et créent une singularité de fiction bien réelle - si, c'est le plot, Warren Ellis, hein) s'avère un délire tout à fait excellent, mais on reparlera de ces deux séries quand leurs conclusions seront sorties (l'an prochain, with hope).  La double intégrale de La Patrouille du temps chez Belial, avec des dessins de Caza dessus. Et de toutes les tarzanneries de l'année (ça aussi y en a eu un paquet), s'il ne vous en fallait qu'une seule, ce serait l'édition complète du run de Joe Kubert publié chez Dark Horse au milieu de l'été ; c'pas neuf (parution originale entre 1972 et 74), mais c'est tout simplement la meilleure bédé jamais consacrée au seigneur des singes. J'ai dit.

J'en profite aussi pour balancer en vrac quelques mentions 2014/2015, à commencer par (enfin!) At the Earth's Core de Bobby Nash et Jamie Chase, dont la qualité narrative est plus que discutable mais les artworks absolument fantastiques. Alex+Ada, because I really am a sucker for scifi romance. Le retour de Bob Morane en bédé, violent (trop) et intrigant (très), malheureusement cours-circuité avant d'avoir pu construire quoi que ce soit. L'Epée brisée de Poul Anderson pour sa première traduction française, soixante ans après sa sortie. L'Encyclopédie du western 1903-2014, pavé bivolume absolument dingue signé Patrick Brion, un monsieur que j'ai cru comprendre ne pas avoir une réputation très flatteuse dans le milieu à santiags mais qui signe là un effort exhaustif tout simplement fantastique (et y a des repros de journaux d'époque en bonus de la classe). La nouvelle Schrödinger's Gun de Ray Wood publiée sur Tor.com. Et le bouquin débile de Nanarland mérite mention, rien que sur la forme (c'est une putain de cassette ! avec sa jaquette et tout !)


Et l'an prochain ?
LES INTEGRALES DE CLARK ASHTON SMITH CHEZ MNEMOS ! (Pardon...) Les deux derniers épisodes de Tarzan on the Planet of the Apes, débuté en octobre et qui finira dans le top, j'annonce. Les deux premiers volumes de Captain Future (Caaaaapitain'flâm par chez nous) chez Belial Pulp, qu'il est hors de question de rater. Norse Mythology de Neil Gaiman, une autre collection, plus ciblée celle-ci, qui m'a l'air tout aussi indispensable que Cheap Seats (et, paraissant début février, sera peut-être même ma première lecture 2017). Je veux une VF d'Infomocracy de Malka Older, que quelqu'un s'occupe du Binti de Nnedi Okorafor, et bien évidemment la suite du Problème à trois corps de Liu Cixin. Pourquoi pas le tome 2 du Caravage de Manara, aussi, conclusion de la vie romancée de ce Zorro-artiste-peintre que j'attend depuis quelque chose comme un an et demi maintenant ?
Et ça n'arrivera jamais, mais çaCa c'est un truc génial, la Folio Society devrait traduire ses bouquins, je veux ça en français, moi, même si c'est juste pour faire beau dans la bibliothèque.