samedi 14 mai 2016

Jour 13 – Un livre que tu as lu plus d'une fois ?

Quand j'ai traduit le questionnaire, j'ai honnêtement voulu supprimer cette entrée. La question me paraissait inutile, redondante et, en fait, tout simplement étrange. Des livres (et bien "livre", ça disait book) que j'ai lus plus d'une fois, y en a des tonnes, mais sur quoi me baser pour en choisir un, dans un contexte bédéphile (superhéroïque, même, à l'origine) ? La question est-elle axée sur les adaptations de prose de héros séquentiels ? Parle-t-on d'un livre au sens large, fascicule multipartite et gros volumes uniques inclus ? J'n'en sais strictement rien, et à vrai dire, j'n'ai pas vraiment cherché à savoir réellement. J'ai regardé vers ma bibliothèque, choisi un titre qui n'aurait eu sa place dans aucune autre réponse, et c'était marre.
Entrée du jour, Sarcophage de Phil Hester et Mike Huddleston, paru chez Semic en 2004.


Comme il est question de "livre", attardons-nous un poil sur l'objet, qui m'avait au moment de son achat, alors que je ne connaissais absolument pas la VO (trois ans plus vieille), intrigué pour deux raisons : d'abord, son format, la collection Semic Noir dont il fait partie se présentant comme un paperback à couverture souple ultra classique, mais ultra épais, usant d'un papier ultra solide, ultra lisse et ultra clair (du papier dessin, presque, si ce n'était l'absence quasi totale de grain), et imprimé en noir et blanc ultra contrasté. Ensuite, son sujet, très très intrigant.
Sorte de Frankenstein à l'envers où le savant fou s'avère être sa propre créature, Sarcophage se veut une plongée introspective dans la psyché du monsieur autant qu'une course contre la montre, la durée de vie de l'élément-titre (une grosse armure capable de stocker une âme défunte) étant limitée.

Phil Hester est un dessinateur et Sarcophage est, il me semble, un de ses premiers travaux de scénariste. Logiquement, on se retrouve dans un monde très graphique, en l'occurrence semi-futuriste aux accents cyberpunk palpables, dont le propos tient autant de Darkman que de Swamp Thing.
De création bête et destructrice il n'est aucunement question, docteur et créature sont une seule et même personne et il sait très bien ce qu'il a fait et ce qu'il doit faire. On a ainsi droit à un demi-tour quasi complet sur la trame narrative habituelle de ce genre de récits, et l'ajout d'une touche de surnaturel, façon Hellblazer corpo du futur, permet d'évoquer quelques idées fort curieuses dans un contexte SF. Le problème, c'est qu'il m'a toujours semblé manquer des morceaux d'intrigue. Certains personnages ont un revirement soudain et inexpliqué, l'élément surnaturel même ne mène nulle part, et si la lente et méditative progression du (anti-)héros vers l'acceptation de la mort s'avère un moteur largement suffisant pour les cent pages de la bête, je n'ai jamais pu m'enlever de la tête l'idée qu'Hester avait probablement pensé en faire une série continue plutôt qu'un roman graphique, surtout en voyant la gueule du final, superhéroïque à s'en fouler le nerf optique.
En fait, Sarcophage est de ces histoires au prémisse particulièrement prometteur qui s'étiolent au fil de la lecture mais parviennent à conserver un capital sympathie non négligeable, notamment ici grâce à une ambiance tout à fait spéciale, et une certaine classe graphique.

D'ailleurs, au moment d'aborder la question du dessin, je me rend compte qu'il est aussi étrange que logique de lister cette bédé juste après L'Ere Xénozoïque. Le style de Mike Huddleston est très exagéré, tout en courbes et en compositions alambiquées (voyez son boulot sur Butcher Baker, the Righteous Maker, par exemple), mais il choisit ici une approche très sage, presque trop, en fait. Très réaliste, obscurci à l'extrême, dense et compact, il n'est pas question de travail virtuose comme chez Mark Schultz. Le trait et le découpage, dont les accents superhéroïques sont évidents dans les poses et le cadrage (le mec a quand même fait ses armes sur Gen13), font leur job, de bien élégante manière, mais sans rien proposer qui sorte de l'ordinaire. Il faut compter sur les forts contrastes du noir et blanc pour apporter une certaine épaisseur à un dessin qui, s'il avait été colorisé à la manière classique d'un titre Avengers ou JLA, aurait sérieusement manqué de force. D'un certain point de vue, ça ne fait qu'amplifier l'impression de décrépitude punk/gothique du récit, mais encore une fois, on dirait parfois du super-héros bien basique, avec de grandes cases purement explicatives entre deux double-pages explosives et bariolées (quoique monochromes). C'est d'ailleurs très visible quand arrivent des planches un peu plus introspectives et/ou aux effets d'ambiance marqués, car elles se détachent très vite du lot. Deux petits détails ressortent ainsi tout particulièrement : l'habillage léger et ponctuel d'un joli tramage (une marque de fabrique d'Huddleston), et l'effet de lumière assez saisissant parfois ajouté aux yeux du sarcophage (deux gros spots de peinture blanche qui déborde, comme le négatif d'un encrage de Bill Sienkiewicz).


Et sans rire, ce qui me scie surtout, c'est la qualité d'impression. A défaut d'un terme plus courtois, je le décrirais, de manière la plus bassement éloquente qui soit, ainsi : "ça pète".
Pour de vrai.
Et ça participe à considérablement relever le niveau général de l'ensemble. Sans compter que le noir et blanc renforce le trait à la base, l'impression ajoute une certaine densité à la chose par le choix du papier, offrant un plus non négligeable à un recit intrigant mais aux faiblesses très perceptibles. Il y a réellement un ajout tactile à la lecture de Sarcophage. Un détail auquel on ne pense que trop rarement et qui, en fin de compte, sied particulièrement à cette entrée dédiée à un "livre".
Avant que Semic ne disparaisse, le premier tome de Walking Dead avait été publié dans cette collection, et en comparaison avec le modèle choisi par Delcourt par la suite, l'édition Semic Noir avait franchement de la gueule, épaisse et spartiate, avec son papier 800g et son impression lourde (sans compter que Tony Moore vaut 109 Charlie Adlards).

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