J'aurais pu citer le Batman de Bruce Timm et Paul Dini. Evidemment que j'aurais pu citer Batman. Bien sûr que j'aurais pu citer Batman. Batman, c'est la meilleure série animés jamais dédiée à un super-héros, à l'unanimité absolue du monde entier. Vous le savez, je le sais, aucune discussion possible. Mais j'aime pas Batman. Le personnage, s'entend. La série est excellente, mais passé le souvenir d'enfance et l'esthétique 30's ultra léchée, je n'y ai jamais vraiment accroché.
C'est précisément cette esthétique qui me pousse dans la direction de Superman, d'ailleurs. Le Superman animé des frères Fleischer est un des premiers dessins animés dont j'ai un réel souvenir. Il y en avait une cassette chez mes grands-parents, et j'en ai vu et revu le contenu bien avant que Batman n'atterrisse sur les écrans français. Pas que ça change grand chose au final, car les dix-sept épisodes produits entre 1941 et 42 sont l'inspiration même de Bruce Timm. Si vous pensiez que la version animée du chevalier noir de DC était tirée des films de Burton, il vous manque un morceau d'histoire. Elle surfe évidemment sur la vague, est produite par les même personnes, et est sortie conjointement au deuxième film, mais au delà du générique de Dany Elfman, elle doit tout, absolument tout, à son aînée de cinquante ans.
En contexte, il est évident que Superman devait avoir un effet tout particulier sur les spectateurs de l'époque. Toutes animées qu'elles furent, c'étaient leurs années 40 d'alors qui étaient mises en scènes, et sans compter la menace nazi qui y fit une logique apparition (on est à l'époque où Tex Avery prend son envol avec un cartoon "effort de guerre" passablement outrancier, ne l'oublions pas), même les robots géants braqueurs de banques et les savants fous avaient une certaines résonance dans l'actualité. Le Batman de 1992 prend place dans les années 30 indistinctes d'un souvenir pulp ; Superman était une version fantasmée de la réalité du moment (habitée par LE symbole du rêve américain).
Evidemment, ceci est ma vision d'adulte des à-côtés de la production, mais même môme et cinquante ans plus tard, le pouvoir évocateur de ce truc restait incroyable. La bombarde musicale, les couleurs franches, le rythme affolant, les attitudes théâtrales des personnages... et ce panneau proprement terrifiant de l'explosion de Krypton - la représentation la plus froidement graphique jamais réalisée de la mort de la planète verte. Le Superman de 1941 garde toute sa puissance visuelle aujourd'hui.
Et puis il y a cette fantaisie pulp de l'époque. Les robots géants braqueurs de banques, j'ai déjà eu l'occasion de les évoquer, sortent tout droit d'un épisode du Spider. Cet imaginaire me parle, vous le savez.
Design et animation sont très toon, on parle tout de même des auteurs de Popeye, avec un fond de monstres d'Universal. Visuellement, c'est iconique au possible, couleurs, cadrages et style général en faisant un objet coincé entre grandiloquence Art nouveau et imparable drame gothique, absolument fascinant, peu importe l'âge du spectateur.
Pour sûr, on est loin de l'écriture audacieuse de Batman, où au caractère purement jubilatoire (et cathartique au possible) du Joker s'allient des personnages aussi tragiques qu'Harley Quinn ou Mr Freeze (deux personnages si justes dans leurs traitements qu'ils en deviendront canoniques, Harley étant une invention propre là où l'origin story de Freeze, qu'on considère comme acquise aujourd'hui, vient de cette série - jamais sa femme n'avait été évoquée avant, et un bête savant fou avec un canon à neige devint un monument quasi shakespearien dans une série pour enfants). Mais Batman a pour lui d'être une série dilatée sur quatre-vingt fois vingt minutes là où Superman est un cartoon de pré-séance à dix minutes pièce sans contrainte de continuité. Les personnages y sont moins nombreux, moins développés, et l'accent est logiquement mis sur le visuel.
Superman y est plus monolithique que jamais, Clark Kent est presque totalement effacé et Lois Lane, courageuse Lois Lane, reste un prototype de demoiselle en détresse peu importe la hargne qu'elle met à plonger dans les situations les plus dangereuses (elle symbolise aussi l'engagement des femmes dans l'effort de guerre). Et là se trouve, à mon avis, tout le propos : le Superman des frères Fleischer est un réservoir à symboles.
Certes, il pourra sembler ancien au public d'aujourd'hui, mais entre les trouvailles de mises en scène (ce POV du robot qui avance sur ce pauvre flic à la quatrième minute de The Mechanical Monsters...), la portée souvent terrifiante du message et le pur fun de certains scénarios, difficile d'en minimiser l'impact ou l'influence, et, de fait, le caractère toujours pertinent qu'il revêt. Superman est vieux, mais pas daté.
Faites une comparaison toute simple : prenez-vous un épisode de Phantom 2040, série contemporaine de Batman et qui fut très certainement ma favorite à l'époque (l'est toujours, en fait, mais c'est le Phantom, je suis biaisé), et un de Superman, n'importe-lesquels, vraiment, et voyez quelle série, malgré toutes ses bonnes idées, pue les 90's avec une animation à la rue, de la synthèse gadget et des scénarios décompressés à en devenir totalement insipides, et quelle autre reste, ayant fêté ses soixante-quinze ans cette année, un modèle de puissance et d'élégance graphique et narrative.
Aucun commentaire:
Enregistrer un commentaire