J'ai réfléchi. Quelques secondes à peine, certes, mais j'ai réfléchi, je le jure. Et même en réfléchissant, et quelle que soit la période, je ne peux décemment citer que Valiant.
C'est joli, en plus, parce que si on félicite aujourd'hui son improbable résurrection (depuis 2012), l'histoire de la firme fondée en 1989 par Jim Shooter n'avait pas spécialement bien commencée non plus.
D'abord intéressé par les publications à licence, Shooter éditait pour Disney et Western Publishing. C'est de ce dernier (et du catalogue de feu-Gold Key Comics) que sortiront quelques personnages tout à fait particuliers en 1991, quand Valiant se décide à mettre un semblant d'univers superhéroïque en route. Solar, man of the Atom et Magnus, Robot Fighter sortent, portés par les auteurs comme Bob Layton ou Barry Windsor-Smith, et offrent à Shooter l'occasion de récréer un monde unifié à la manière de Marvel et DC. En 1992 arrivent les premiers titres originaux : Harbinger, X-O Manowar, Rai, Shadowman, Archer & Armstrong...
La machine est lancée, disposant d'un curieux avantage sur ses concurrents : une patte graphique et scénaristique commune entre tous les titres, offrant une réelle sensation d'univers partagé, et surtout, un trait (la colorisation à l'aquarelle, notamment) et des histoires plus proches de celles du milieu des 80's, quand au même moment commence à monter l'ire des fans à l'encontre de la main-mise (et de la qualité discutable) des dessinateurs à la mode (1992 est la date de création d'Image Comics). Si l'on n'a jamais entendu parler de cet éditeur par chez nous, aux Etats-Unis, il fait vite son trou : au fait de la gloire de Valiant Comics, Harbinger et Shadowman écoulaient plus d'unités que les X-Men, alors véritable tête de proue du bateau Marvel.
La situation changera quand, en 1994, Acclaim Entertainment, alors un poids lourd du jeu vidéo nord-américain, racheta Voyager Communications, la firme possédant Valiant Comics.
L'effet du rachat mit du temps à se ressentir sur la publication (les titres Valiant seront publiés normalement jusque l'été 1996) et le résultat fut finalement assez triste : renommé Acclaim Comics en juillet 1996, le "nouvel" éditeur conservait ses licences fortes et n'avait pas une mauvaise gestion en soi, Fabian Nicieza, appointé éditeur en chef, se fera même un devoir de lancer de jeunes auteurs (on lui doit les premiers pas de gars comme Mike McKone), seulement le "renouveau" Acclaim Comics-Valiant Heroes ne sera pas au goût de tous les lecteurs. La relance de nouveaux numéros 1 et les nouvelles origines offertes à des héros somme-toute encore tout jeunes ne sont absolument pas justifiés aux yeux des fans, sans compter que le marché souffre du déclin progressif des super-héros dans la seconde moitié des années 90. La recherche de "l'extrême" à la mode coûta terriblement cher à de nombreux personnages et éditeurs, Marvel en mourra même en 1997 (et sera comme un électrochoc pour l'industrie, d'ailleurs, menant entre autre à l'abolition du Comics Code, mais c'est une histoire pour un autre jour).
Dans une atmosphère pesante, quelques publications surnagent : Quantum & Woody, duo parodique créé par Christopher Priest (aka James Owsley, à ne pas confondre avec l'auteur du Monde inverti et du Prestige), sont devenus les Archer & Armstrong d'une nouvelle génération, et Turok et le Shadowman vivent une seconde (voire troisième) jeunesse grâce au crossmédia (X-O Manowar aura aussi droit à un jeu vidéo, en compagnie d'Iron Man qui plus est, mais c'était triste, je refuse d'en parler). Pas suffisant, néanmoins, pour garantir la survie d'un éditeur qui a alors moins de dix ans, et en 1998, la majeure partie des séries sont retirées.
En février 2000 sort le dernier numéro de Quantum & Woody, alors le dernier comic book encore publié mensuellement, stoppant en milieu d'intrigue, et Acclaim Comics disparaît des comic stores. L'éditeur tombera officiellement avec sa maison mère, en 2003, sans avoir rien publié d'autre que l'adaptation de Turok Evolution, vendue avec le jeu en 2002.
Dès 2004, cependant, un groupe d'entrepreneurs entend rendre à Valiant ses lettres de noblesses. Le catalogue est récupéré (le catalogue propriétaire, s'entend, c'est-à-dire sans les héros de Gold Key qui avaient permis l'envol de l'éditeur en 1991) et Valiant Entertainment naît en 2005. S'ensuit une longue bataille financière et créative dont je vous passe les détails, pour enfin arriver à la délivrance : en 2012, Valiant est de retour. L'évènement "Summer of Valiant" est lancé au mois de mai avec X-O Manowar, devenu avec les années un personnage culte (malgré des ventes limitées à l'époque), et propulsé porte-étendard de la nouvelle ligne. Derrière lui s'ajouteront les reprises d'Harbinger, Bloodshot et Archer & Armstrong au cours de l'été. Shadowman attendra quant à lui Halloween pour rejoindre les étals (et reste à mon goût le seul faux-pas du nouveau Valiant, cette série n'est vraiment pas bonne). Bien aidé par un line-up de stars (Fred Van Lente, Cary Nord, Clayton Henry, Duane Swierczynski, l'étoile -alors- montante Khari Evans...) et le succès que rencontrent à nouveau (merci le cinéma) les super-héros, ce nouveau Valiant trouve très vite son public. Il faut dire qu'il jouit d'un souvenir ultra-populaire (en témoignent les 42mille(!) précommandes d'X-O Manowar #1), mais aussi et surtout que la qualité est au rendez-vous. L'éditeur rafle un paquet de nominations dès ses premiers mois d'existence, et finira avec le titre d'éditeur de l'année 2012 (avec à peine huit mois d'existence et moins de 5% de parts de marché, un exploit).
Mieux, alors que Marvel et DC s'embourbent peu à peu dans des décisions éditoriales plus que discutables, Valiant conserve la cohérence qui faisait la force de son univers partagé en 1992 : des ramifications partout mais relativement peu de séries (rarement plus de cinq ou six à la fois). Un choix qualitatif plutôt que quantitatif qui permet aux auteurs de mieux travailler ensemble et aux lecteurs d'acheter la totalité de la ligne éditoriale sans se ruiner. Le modèle s'appuie par ailleurs sur des crossovers prédéterminés et des fins de séries annoncées (les Summer of Valiant 2013 et 2014, puis Valiant Next en 2015), se basant sur des raisons scénaristiques plus que financières, et affichant une volonté éditoriale claire tant pour les lecteurs que pour les auteurs. La transparence de Valiant Entertainment en fait l'éditeur idéal pour le web 2.0, et les fans s'en donnent à coeur joie.
A voir si, à terme, la méthode continuera de payer, mais elle me conforte dans un choix que j'ai fait il y a des années : je ne lis que très peu de super-héros, et mes super-héros favoris, quoi que j'aie tendance à plus souvent parler de Spider-Man et des X-Men, ce sont ceux de Valiant. D'ailleurs, depuis 2012, ce sont les seuls que je lis... Et très honnêtement, vu les cochonneries qui se préparent (voire sont déjà en place) chez Marvel et DC (on parle de Steve Rogers, Captain AmerHydra?), je n'm'en porte pas plus mal.
Evidement, tout ceci est avant tout du à ma fascination pour Turok (vous n'imaginez pas, quoique le travail de Dynamite soit tout à fait réussi, à quel point je suis triste qu'il ne soit pas au programme du Valiant moderne) et l'obstination avec laquelle j'ai cherché à m'offrir tout ce qui touchait au personnage (par extension toute naturelle -lire "vidéoludique"-, je suis ensuite passé au Shadowman, puis à Valiant en général), mais après des années de lectures, le résultat est là. J'ai un fort attachement affectif à cet éditeur et à ses héros, et je ne pouvais décemment pas citer qui ou quoi que ce soit d'autre...
Parce que j'ai réfléchi, pour de vrai, quand j'ai lu la question. Pas longtemps, comme je le disais, mais dans ce pas longtemps, mon évident biais pour les éditeurs de comics fantastiques voire horrifiques (ou en tout cas à vocation résolument adulte) m'a sauté à la gorge. Il m'a crié de parler d'EC Comics (ce que je ferai, soyez-en sûrs), d'éplucher toutes les collections un peu folles de chez Vertigo, de hurler mon amour inconditionnel et totalement pas assumé pour Warren Publishing (Vampirella!), et de tartiner un peu partout sur ce blog la fascination que j'ai pour Rebellion et son 2000AD (un vivier démentiel d'où sortent la large majorité de mes auteurs favoris), mais...
Mais Valiant. Définitivement Valiant.
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