Je pourrais tous les citer, sous plein d'éditeurs différents, car, de Billy Batson à Mar-Vell jusqu'à la délicieuse Carol Danvers, tous sont effroyablement mal utilisés, mais quand je dis Captain Marvel, je pense d'abord à celui qu'on a stupidement renommé Shazam ces dernières années. LE Captain Marvel. Celui créé par Fawcett et que DC a sciemment tué parce qu'il était meilleur que Superman.
Le concept était frais et positif, ses héros foncièrement bons et attachants, et entre Marvel Jr, Mary Marvel et Marvel Dog, il y en avait pour tous les goûts.
Et oui, en passant, c'est Superboy, Supergirl et bordel de Krypto le chien. Superman a volé sa famille à Captain Marvel, ce qui est puissamment drôle quand on sait que Marvel, apparu pour la première fois en février 1940, est deux ans plus jeune que le kryptonien et que, en 1953, DC Comics attenta un procès à Fawcett pour plagiat. L'hôpital qui se fout de la charité. (Pour la petite histoire, et pour ajouter à l'ironie tragique de la situation, c'est Otto Binder, le créateur de la Marvel Family lui-même, qui importa nombre de ces personnages chez DC.)
La différence principale entre les deux personnages, et la raison même du succès de Captain Marvel à l'époque, c'est que l'un est un extra-terrestre réellement supérieur à l'homme tandis que l'autre est un gamin perdu qui se voit confier des pouvoir par un vieux magicien. Captain Marvel, c'était Superman version Tolkien, et c'était bel et bien magique. Grâce à ce simple détail, Billy Batson a toujours été plus proche de ses lecteurs que l'homme d'acier et, d'une certaine manière, une évocation beaucoup plus claire de l'idéal à devenir. Billy se transforme certes à volonté (tant qu'il a la possibilité de hurler "Shazam !", s'entend), mais il n'est pas lui-même le héros : Marvel a sa propre personnalité, il est une projection adulte et gonflée à la poussière de fée des idéaux du petit garçon.
Ce lien fut d'ailleurs souvent changé au fil de son histoire éditoriale, certaines incarnations du personnage lui laissant la personnalité de Billy même en tant que Marvel (c'est la version la plus courante et celle qu'on considère comme canon aujourd'hui) tandis que d'autres faisaient de l'orphelin un simple vecteur pour un héros des temps anciens. Il s'agit d'un des nombreux détails en constant chamboulement qui font que, coupé dans son élan, Captain Marvel n'est plus aujourd'hui que l'ombre de l'ombre -de l'ombre...- de ce qu'il fut.
Une descente aux enfers tristement longue et solitaire, essentiellement due à son statut d'origine : DC, qui fit vraiment le vautour jusqu'au bout sur le personnage, en racheta les droits en 1972 et ne sut jamais quoi faire d'un doublon de Superman qu'il avait lui-même jeté aux oubliettes. Il y eut bien une véritable tentative de revival en 1973, mais elle ne rencontra jamais le moindre succès. Titrée Shazam! pour des raisons de droits alors beaucoup plus logiques (Marvel Comics a créé son propre Captain Marvel en 1967), elle proposait tout d'abord des récits dans la veine de ceux d'origine, accompagnés par des rééditions des publications Fawcett. En 1978, à la suite de nombreuses apparitions dans d'autres séries DC, l'épisode 34 repensa totalement le contexte du personnage pour l'ancrer dans l'univers partagé de l'éditeur.
De là, tout ne fut plus qu'une longue chute pour Captain Marvel, cantonné après l'annulation de son titre à un rôle de soutien dans la JLA et à quelques sporadiques mentions ici et là. La Crise (des Terres Infinies) de 1986 entérinera cette position de "personnage de fond de salle" et, après un nouvel échec de réinvention du héros (The Power of Shazam!, 1994), il fut rétrogradé à la Justice Society of America (la JLA "des vieux"). Au milieu des années 2000, car un carnage semble devoir se répéter tous les dix ans sur cette licence, DC tenta un ultime challenge et faisant de la Marvel Family un acteur fondamental de son Infinite Crisis, avant de réinventer ses héros, tuant Shazam le magicien, faisant passer la cape à Marvel Jr (dans The Trials of Shazam) et transformant Mary Marvel en vilaine.
Alors, certes, nombre de ces histoires sont plutôt bonnes (son passage dans la JSA entre 2003 et 2004 est même remarquablement bien pensé), mais rarement, trop rarement, Captain Marvel retrouva le degré d'excellence et de pertinence qui fut le sien. Au contraire, il fut plus souvent qu'à son tour le jouet des autres, et notamment de Lex Luthor, qui en fit son arme favorite contre Superman (dans Kingdom Come ou Superman-Batman: Public Ennemies, par exemple).
S'il garde une certaine côte auprès de nombreux auteurs et lecteurs (ses passages dans les univers animés de Bruce Timm furent souvent salués), le personnage dans son incarnation DC Comics n'a jamais été vraiment vendeur, et lorsqu'il a été question de le ramener une dernière fois à la fin des années 2000, ce fut sous la forme d'une BD pour enfants hors-continuité (Billy Batson and the Power of Shazam!). A la fois plus conforme au modèle de 1942 et radicalement nouvelle (et probablement le meilleur travail sur le personnage jamais publié par DC -ce qui est d'une tristesse effroyable-), la série, qui aurait fait une fantastique addition au catalogue Cartoon Network, eut pour effet de terminer la dilution du personnage dans une image cheap et dépassée de B-lister bodybuildé.
Ainsi, tout récemment, au moment de préparer un hypothétique film dédié à Captain Marvel, on parlait plus de qui caster dans le rôle de Black Adam, némésis ultra-charismatique et ultra-populaire (il est, en vérité, le seul personnage à être sorti grandi de tout ce bordel) de l'éclair rouge. Hell, on ne parlait même plus du tout de "Captain Marvel" puisque, si depuis le rachat officiel du personnage par DC les appellations changeaient sur les titres des séries sans pour autant toucher le personnage, il se nomme désormais officiellement "Shazam" depuis la création du New 52.
Captain Marvel est mort, vive Captain Marvel.
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