samedi 4 juin 2016

#JurassicJune : Le jour où Conan rencontra un stégosaure

Jurassic June. J'ai découvert cette chose le mois dernier en cherchant quelques infos sur de vieux films dinosoïdes. Célébré pour la première fois en 2014 comme réponse auto-référencée au May the 4th des amateurs de Star Wars, ce mouvement comme seul internet est capable d'en créer est passé de la blague d'initié au hashtag à la mode en à peine deux éditions. Parce qu'internet. Ca avait l'air rigolo. J'ai eu envie de participer.

Les Clous rouges, dernière aventure de Conan publiée par Robert E. Howard, n'est pas un roman extraordinaire (déjà, c'pas un roman, c'est une novella, mais qu'importe). J'irais jusqu'à dire que ce n'est pas un bon roman, tout court, le récit est formuléique au possible, les ficelles grosses comme les cuisses de son héros, et tous les éléments présents ont déjà été explorés dans des histoires antérieures... mais ce serait laisser de côté une aventure palpitante et un paquet d'éléments devenus iconiques dans la vie populaire du cimmérien. Sa romance avec Valéria, par exemple. Ce qui me frappe surtout, c'est l'affinage des recettes, où d'une énième chasse aux trésor tournant en exorcisme barbare, Howard tire un récit aux rebondissements complètement fous (jusqu'à en devenir ridicules, mais là n'est pas la question), sans compter la description de la cité morte de Xuchotil qui sert de cadre à l'histoire, profondément emprunte de cette déchéance ultime de la civilisation qui parcourt les histoires du texan. Sans exagérer, il propose ici sans doute sa plus belle ville, glissant entre quelques visions réminiscentes autant du She de H. Rider Haggard que de l'inévitable cité d'Opar, grandes prêtresses incluses, un fort relent de fin du monde que n'aurait pas renié Clark Ashton Smith. Evidente inspiration ne serais-ce que par son nom, Xuchotil et ses halls de jade, c'est Xuthal la crépusculaire puissance mille. Et j'adore Xuthal la crépusculaire.
Mais ce n'est pas pour cette cité fantôme que je garde un vibrant souvenir de Red Nails. Enfin, pas seulement. Le vrai détail-qui-tue, pour moi, c'est la rencontre avec un dragon en début d'aventure, tellement soudaine qu'elle en devient effrayante, et surtout donnant à voir un monstre qu'Howard, friand d'entités simiesques hautes comme des halls de gare, ne présentait que rarement. Un dinosaure. La bête est mal décrite, qui plus est avec toutes les erreurs de la paléontologie bégayante de l'époque et passée à la moulinette d'une aventure fantastique, mais il est difficile de ne pas voir dans cette créature mythique un vrai bon gros dinosaure. On peut même parfaitement l'identifier, l'animal étant présenté comme portant de larges plaques osseuses dorsales, de longs pieux au bout de la queue, et se mouvant comme un pachydermique lézard. Un stégosaure. Un stégosaure de 1936, carnivore par dessus le marché, mais un stégosaure tout de même.
J'ai toujours vu dans ce monstre le gardien non-avoué de la cité de jade, ce qui nous amène à la raison même qui m'a poussé à en parler aujourd'hui.

En 1973, Roy Thomas et Barry Windsor-Smith adaptent Les Clous rouges pour Marvel dans les numéros 2 et 3 de Savages Tales. Cette BD, je l'ai découverte terriblement tard, grâce aux intégrales de Dark Horse, longtemps après sa lecture originale dans le Conan le guerrier de Sprague de Camp dont j'étais ressorti certes charmé par les idées visuelles, mais surtout profondément ennuyé par la répétitivité narrative. Pas de ça ici, Thomas et Smith expédient l'histoire en une quarantaine de pages, c'est vif, c'est beau, fouillé, plein de détails très gracieux et pourtant bien puissant. Thomas et Smith, quoi.

Le dragon imaginé pour l'occasion me rappelle autant ce faux quadrupède carnivore qu'avait créé Jim Danforth pour When Dinosaurs Ruled the Earth en 1970 que le Monstre d'un autre temps que rencontrait Rahan en 1971 dans les pages de Vaillant (notez que le fils de Crao combattra aussi Godzilla, mais ça n'a rien à voir), Smith mélangeant différentes créatures pour donner naissance à la bestiole la plus improbable qui soit (cette gueule!). Et la façon avec laquelle Conan (je vous jure que j'ai failli écrire Tarzan - Pellucidar aura ma peau) s'en débarrasse est juste magique.
Elle est aussi une image parfaite de la façon dont, peu à peu, le style de Smith s'est affranchi de la narration de Thomas (un long et passionnant sujet sur lequel on reviendra, un jour, peut-être), et, même si j'aurai toujours d'abord le visuel de John Buscema en tête, l'illustration parfaite de pourquoi Conan en bédé c'est Smith. Le lézard gauche mais incroyablement vif, la clarté de cases pourtant remplies à ras-bord de détails quasi maniaques, la curieuse expressivité des visages (un des points faibles de Smith, et qui donne aux rapports humains un côté assez irréel)...
Je pourrais continuer cette liste pendant deux jours et demi et ça ne vous avancerait à rien. Illustrons tout cela, ça ira mieux. Le poids des mots, comme dirait l'autre...
(Les scans, en VF pour une fois, proviennent des Chroniques de Conan 1971-1974, publiées en 2008 chez Panini.)



Un point que je ne peux pas ne pas ajouter, toutefois, que peu remarquent mais qui me fait toujours un effet fou : l'élégance de Valéria sous le pinceau de Barry Windsor-Smith, son attirail sobre et gracieux, des manches bouffantes à l'incongruité du short, relevée par cette coiffure à la fois stricte et lâche qui prend souvent, de loin, une forme de casque. Princesse et guerrière, cette Valéria est, bien loin de la barrique du film de Milius (avec tout le respect que mérite Sandhal Bergman, non, je ne me lasserai jamais de dire du mal de ce film, huez-moi, je m'en moque), une incarnation de l'altesse guerrière, et une des rares présences féminines à tenir tête au gros bourrin que sait être le cimmérien, surtout sous le trait (volontairement) grossi de Roy Thomas.

...Et tout ça parce que je voulais montrer Conan découper un stégosaure.

2 commentaires:

  1. dis, avec des dates et références que tu donnes, tu ne serais pas un de ces innombrables kids à avoir grandi au biberon de jurassic park ?

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    1. Eh bien curieusement, non. C'est même l'inverse. Je veux dire, Jurassic Park est sorti quand j'avais 10ans, je ne l'ai pas vu tout de suite et, étant un gamin très impressionnable à l'époque, quand je l'ai finalement vu, c'était planqué derrière le canapé du salon. Cette frayeur m'a évidemment marqué, mais, tu t'en doutes, pas franchement dans le bon sens. Du coup, même après avoir vu (et plutôt apprécié) le deuxième film, Jurassic Park est longtemps resté un épouvantail, et je ne l'ai en fait revu que très TRES tard, vers 2006 ou 7, quand on m'a offert la trilogie en DVD. Ces DVDs marquent d'ailleurs la seule fois où j'ai vu le III. La série m'intéresse, évidemment, j'irai jamais dire que ce sont de mauvais films et les effets spéciaux sont définitivement parmi les plus réussis qu'on ait pu voir sur un écran de cinéma, mais ils n'ont jamais été de mes films favoris et n'en seront jamais. J'étais parfaitement au courant de l'impact de Jurassic Park sur mes camarades d'alors, mais j'étais pas dans le groupe. Les dinosaures, j'étais dedans bien avant la sortie du film, et les miens vivaient à Pellucidar et dans la Grande Vallée, pas sur Isla Nublar.

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