Warren Ellis - Comme des animaux en cage

La nouvelle At the Zoo de Warren Ellis fut originellement publiée en novembre 2000 dans le magazine britannique Nature #408, et traduite en français en décembre de cette même année dans le Courrier International #529.
Ellis est un auteur de comics surtout connu pour ses nombreuses fixettes scénaristiques, comme l'héritage culturel ou le transhumanisme, et c'est précisément de ceci dont il est question dans ce court mais intrigant exercice journalistique.

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"La charnière entre le deuxième et le troisième millénaire est vitale", explique Daybreak Sigridsdottir, conservatrice en chef des humains souches, au cours d'un bref entretien radiotélépathique. "C'est à ce moment précis que s'est développée la biotechnologie pratique. L'introduction de matériaux artificiels et étrangers dans la structure génétique humaine a débuté à peine dix ans après le début du deuxième millénaire. Depuis lors, il n'y a plus rien de sûr."

Mme Sigridsdottir est une zoologue de haut niveau. En passant au crible les registres du monde entier, elle a retrouvé des humains qui n'avaient subi aucune modification du fait de la technologie biologique moderne. Elle se souvient parfaitement de ses sentiments contradictoires quand on a découvert que seules deux personnes sur Terre possédaient encore une structure biologique identique à celle des humains d'avant l'an 2000. "Il y a longtemps que nous avons cessé de penser à la manière dont nous vivons. Par exemple, nous inspirons profondément afin d'avoir assez d'oxygène pour voler, mais nous ne nous préoccupons pas de ce que contient cette bouffée d'air. Dans 66 % des cas, 1 m3 d'air au niveau de la mer renferme une particularité génétique, provenant d'un labo ou produite par un organisme vivant et capable de s'adapter au métabolisme de celui qui respire. Et c'est là que nous en sommes. L'ADN de la plupart d'entre nous est éloigné d'au moins 0,5 % de celui des êtres humains souches. Avec 1 ou 2 % de différence, vous avez un chimpanzé. D'après ces mêmes critères, beaucoup d'entre nous ne sont plus humains. Nous sommes quelque chose d'entièrement différent." Nine Nevada Rockets, porte-parole de l'association Transhumaine, exprime un autre point de vue sur ce phénomène depuis son nouveau territoire de l'océan Pacifique. "Cela ne veut rien dire. Je pourrais vous donner mille arguments prouvant la 'non-fiabilité' du génome après 1945, du fait de l'introduction dans l'environnement d'éléments provenant des explosions nucléaires. La structure génétique humaine a changé avec chaque nouvelle immunité acquise et transmise à nos descendants. De quel droit la Réserve humaine se permet-elle de dire qui est humain et qui ne l'est pas ?"

Mme Sigridsdottir, qui souligne en passant que Mme Rockets communique grâce un organe télépathique dérivé de la biologie des baleines et des anguilles, rétorque : "Regardez-nous ! Nous avons acquis des caractéristiques mécaniques provenant des animaux ; nous avons inventé de nouvelles aptitudes et trouvé les nouveaux organes internes qui nous permettent de les faire fonctionner. M. Rockets, par exemple, est constitué de neuf bioformes de néodauphins partageant le même cerveau sur un réseau local géré par des modems organiques situés dans leurs gueules. Nous sommes aussi éloignés de ces deux humains souches qu'ils le sont des chimpanzés sauvages."

Le couple anonyme, qui vit dans une grande réserve protégée et aménagée pour ressembler à l'environnement urbain dans lequel on l'a trouvé, n'a pas eu une captivité de tout repos. Les deux humains souches ont été l'objet d'attentats terroristes visant à modifier leur génome, de tentatives d'assassinats manquées et même d'alertes à la bombe. L'un des auteurs présumés de ces tentatives se nomme Laura Magdelene Manson. Elle est secrétaire de l'assemblée de la Dévotion mystérieuse, organisme non confessionnel et discret de la machinerie nanotechnologique. "Nous avons été créés pour nous adapter et pour changer. C'était notre mission d'adopter les caractéristiques des animaux et de nous approprier les qualités des machines que nous avons conçues. Nous faisons ceci afin de devenir les dignes compagnons du Mystère. Préserver les traits inférieurs de l'être humain est malsain." Mme Sigridsdottir répond avec dédain : "Tout cela participe de la psychose ambiante. En dépit du fait que nous considérons normales des capacités physiques que l'humain du deuxième millénaire ne pouvait trouver que dans la fiction la plus outrée, nous nous sentons tout de même menacés par la pensée que quelqu'un puisse être 'plus pur' que nous. "

Pourquoi la reproduction physique "classique" des humains souches était-elle nécessaire ? "Parce qu'il est aujourd'hui pratiquement impossible de garantir des conditions de pureté absolue en laboratoire. Et, même si nous pouvions les cloner dans des conditions de protection optimales, cela me semblerait aller à l'encontre de ce que nous recherchons. Utiliser la méthode classique m'a semblé la manière la plus esthétique d'y parvenir. C'est la méthode organique. Et, personnellement, je l'ai trouvée fascinante. Personne dans ma famille n'a eu de vraie relation sexuelle traditionnelle avec pénétration depuis sept générations. Et, maintenant, je sais pourquoi."

Alors, la reproduction a-t-elle été difficile à réaliser ? "Eh bien, ça n'a pas été aussi facile qu'on pourrait le croire. La numération des spermatozoïdes était incroyablement basse chez le mâle humain de la fin du XXe siècle. L'impératif génétique de reproduction était atténué dans la plus grande partie du monde à cause de l'augmentation du nombre des naissances vivantes et de l'évolution des moeurs sociales. Honnêtement, nous avons été obligés de la faire boire, et, à lui, de lui promettre une pizza."

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