Né en 1917, Reed Crandall était un peu jeune pour illustrer les récits d'Edgar Rice Burroughs dans leur format pulp d'origine. C'est pourtant bien l'impression que laissent ses sublimes illustrations pour les éditions de Canaveral Press en 1964.
Et une réédition de John Carter n'arrivant jamais seule, on lui doit aussi du Tarzan et du Pelucidar.
dimanche 22 juillet 2018
lundi 2 juillet 2018
Par cette hache, je règne !
Je préfère Kull à Conan.
Largement.
Ce qui est rigolo, ayant dit ça, c'est que si l'on me demandait de donner les meilleures nouvelles et le meilleur perso d'Howard, je citerais quand même le grand cimmérien, mais Kull d'Atlantis, Roi barbare de Valusie, a quelque chose de spécial, un "truc" que la disparité alimentaire un brin binaire des récits de Conan ne touchera que trop rarement (sur les évidents La Reine de la Côte noire ou La Tour de l'éléphant, par exemple). D'un côté, c'est tout à fait logique, Conan étant le héros d'environ six fois plus d'aventures que son prédécesseur, ce dernier étant purement et simplement son prototype, avec un côté plus "adolescent", plus contemplatif et boudeur, plus humain presque, loin de la rustre assurance du barbare taciturne.
Kull, c'est King Conan avant King Conan, et ce d'autant plus logiquement qu'ils ont la même nouvelle pour origine...
A la fin de l'année 1929, By This Axe I Rule! est la toute première nouvelle qu'un jeune Robert E. Howard (il n'a alors que 23 ans) soumet au très respecté magazine Argosy, le leader incontesté du marché pulp, et à Adventure, un de ses concurrents. C'est aussi l'une des premières unanimement rejetée. Trop lisse, trop pataude, elle sera longuement retouchée, accouchant finalement, trois ans plus tard, de Phoenix on the Sword, la première nouvelle de Conan. Howard y avait substitué l'intrigue secondaire (un couple un peu gnan-gnan) de Kull pour une virée surnaturelle dans les entrailles du palais du cimmérien, et centré toute l'introduction sur le complot dont le Roi d'Aquilonie était la cible, en présentant abondamment les instigateurs.
Il est indéniable que Le Phénix sur l'épée est un récit supérieur à Par cette hache, je règne (qui ne se verra par ailleurs publiée que quelques décennies plus tard, quand Lancer Books et Lin Carter compileront les nouvelles du Roi de Valusie en 1967 dans King Kull), mais si c'est Conan qui lui apporta la célébrité, Howard tenait particulièrement au personnage de Kull.
C'est que si elle est l'origine de Conan, By This Axe/Phoenix on the Sword est aussi et presque logiquement la dernière nouvelle que le texan écrira pour Kull. En effet, il avait plus tôt dans cette même année 1929 vendu à Weird Tales (un magazine devenu iconique mais alors bien moins renommé qui avait déjà publié les premiers récits de Solomon Kane l'année précédente) les deux seules nouvelles de Kull qui seraient publiées de son vivant.
La première, et la plus importante, était The Shadow Kingdom (Le Royaume des chimères - note : j'utilise ici les titres français de l'édition intégrale de Bragelonne, parue en 2010), plus longue, plus fantastique, plus recherchée, plus mélancolique et plus mystérieuse que By This Axe (plus dans le style Weird Tales, en somme, qui agrémentera par ailleurs sa publication d'une superbe illustration de Hugh Rankin, le spécialiste maison des intérieurs fantasmatiques). Elle allait poser les bases du héros et de sa mythologie, et devenir le terreau sur lequel grandirait l'Age Hyborien.
Kull n'était pas le premier héros de fantasy, loin de là -et c'est une question sur laquelle je me garderai bien de me pencher pour l'instant-, mais le souffle de folklore mystique et mythique qu'il apportait semblait loin de ce qu'on connaissait à l'époque. Weird Tales était connu pour publier des récits qu'aucun autre magazine n'aurait osé proposé et cette entrée, d'apparence anodine, allait déclencher une drôle de suite d'événements.
Le Royaume des chimères était au programme du numéro d'août de Weird Tales. Dès le suivant, en septembre, sera publié Les Miroirs de Tuzun Thune (The Mirrors of Tuzun Thune). Ce second récit (qui, pour les curieux, est ma nouvelle favorite d'Howard) était plus étonnant encore que le premier, et contenait déjà les raisons de la mort éditoriale du personnage, plus encore que le rejet d'Argosy à venir. Fatigué, hanté, lassé, Kull n'avait plus les épaules pour satisfaire le jeune auteur dans sa recherche de grands espaces. Il était un reflet de ses premières expérimentations, et après qu'Howard s'en fut revenu à Salomon Kane et à quelques récits historiques (1929-1932 est aussi la période à laquelle il crée Cormak Fitzgeoffrey, un croisé particulièrement violent, et Bran Mak Morn, un chef picte de la période romaine), Conan, de toute sa puissance, balaiera le souvenir de son ancêtre.
Ou bien ?
Conan s'élèvera toujours au dessus de Kull dans l'imaginaire populaire, et à raison, mais l'ombre de l'atlante est partout dans les pas des cimmérien. Il n'est pas un embryon mal fini et abandonné de son littéraire -voire littéral, car l'Age Thurien de Kull est le lointain passé de l'Age Hyborien de Conan- descendant. Tout simplement, Kull est ce qu'Howard proposa de plus proche d'une véritable transposition de lui-même dans ses histoires, et son essence transpire des pages de Conan.
Et ce spectre est tellement palpable qu'il en mêle parfois les destinés des deux personnages. Comme, par exemple, en 1982, quand John Millius, désireux de retranscrire la moelle du héros howardien, s'offrira un hasardeux mais payant truchement.
Voyez-vous, malgré les nombreuses et sincères tentatives de réhabilitation de ce grand film nihiliste rugueux (que, personnellement, je n'ai jamais aimé, pour plein de raisons philosophiques et narratives) au fil des années, et pour tout ce que son faux-remake nanardesque de 2011 est plein de trous, de cabotinage ridicule et de cinématographie absurde (non, je ne l'aime pas plus que le précédent), ce dernier propose toutefois quelque chose qui manque à mes yeux cruellement au film de 1982 : Jason Momoa y est plus Conan que Schwarzie ne le sera jamais. La raison à ça, c'est que le film de Millius est à propos de Kull, pas de Conan ; c'est Kull qui a été esclave dans sa jeunesse, c'est Kull qui est mélancolique et marqué par la décimation de son peuple, c'est Kull qui a des réflexions nietschéenes identitaires sur sa nature d'homme, et c'est Kull qui lutte contre les hommes-serpents et le sorcier Thulsa Doom. Des répliques entières ("Can you summon demons, wizard ?") sont tirées d'épisodes de Kull. Oui, c'est de la triche, mais c'est très intelligemment fait et ça marche, créant un personnage bien plus vivant et réel pour le spectateur (vous comprendrez pourquoi d'ici la fin de cet exposé).
Ce qui est à mourir de rire dans cette drôle d'histoire, c'est que dans une tragique ironie identitaire, ce qui deviendra l'horrible Kull le conquérant avec Kevin Sorbo était à l'origine le scénario du film King Conan, basé en partie sur L'Heure du dragon, le seul roman dédié par Howard au cimmérien (qui n'écrira de toute sa carrière que deux romans, l'autre étant Almuric, publié à titre posthume en 1939, un hommage à Edgar Rice Burroughs n'ayant strictement rien à voir avec nos barbares).
Il n'est pas étonnant, de fait, que les deux personnages aient fini par se confondre dans l'imaginaire collectif. Non seulement ils partagent, disais-je, la même origine, mais les hasards de la fiction et de l'édition n'ont eu de cesse de les faire s'entrecroiser. Ils sont si similaires qu'ils sont littéralement identiques dans leurs représentations graphiques. Ils sont des barbares, des rois ; des barbares devenus rois par la force de leurs mains.
Mais à bien y regarder, c'est précisément là que se situe aussi la plus grande différence entre eux.
La couronne d'Aquilonie signifie le début de la fin pour Conan, arrivé au bout de son parcours de brigand et de mercenaire, jeune fauve des steppes amené par la force d'une irrévocable destinée à nettoyer la corruption de l'état le plus puissant de son temps. Pour Kull, devenir roi est exactement son commencement. L'accession au trône de Valusie est ce qui lance son arc narratif. Là, il découvre les secrets de son royaume, le poids de la gouvernance, et surtout sa noblesse. Là où Conan est plein d'assurance et fort de mille expériences, Kull est un mont d'incertitude. Relisant Le Royaume des chimères, le sentiment que Kull a quelque chose à prouver (reflet direct de son auteur à l'époque) est palpable. Il n'a pas la confiance absolue en ses capacités qu'a Conan. Il n'est pas un géant de bronze ; il est puissant, certes, mais friable. Et il a besoin d'aide. Quelque part, c'est précisément ce qui rend le personnage si attirant. Il ne veut pas la couronne autant qu'il en a besoin. Pour Kull, elle est le test ultime, le moyen de prouver sa valeur.
C'est que Kull a un passé - un qui sera publié bien plus tard, là encore grâce au recueil de Lancer, mais un passé néanmoins, et si le lecteur d'alors l'ignore, nous non, et Howard non plus. Kull a une origine, une famille, un traumatisme initial, il n'est pas un grand barbare anonyme qui atterrit un peu au hasard sur les lieux d'une aventure. Une partie de moi n'a jamais pu s'empêcher de penser que si les nouvelles de Conan ont été écrites et publiées dans un tel désordre, c'est précisément parce qu'Howard le savait être plus une idée, la personnification d'un absolu barbare, qu'un être de chair et de sang. En fait, si l'on cherche l'origine de Conan dans Le Royaume des chimères, on peut tout autant regarder vers Kull que vers Brule, son étrange et mutique allié picte. Brule montre même bien plus des "qualités" qui seront associées au cimmérien que son compère - de son appétit sexuel à son arrogance en passant par son apparence féline et ses talents de voleur. Qui plus est, Kull est irrémédiablement lié au trône, alors que Brule, comme Conan, est libre.
On en viendrait à imaginer que, lorsque Kull et Brule se serrent les mains après avoir dissimulé le corps du premier homme-lézard, on a plus affaire à la fusion des deux personnalités qui formeront plus tard celle de Conan qu'à deux guerriers scellant un pacte.
Outre son pendant sauvage, Brule est aussi le symbole de quelque chose que Kull possède et que Conan n'aura jamais : un flot de personnages récurrents autour de lui. Certes, on pourrait tracer des parallèles entre de nombreux conseillers valusiens et les aides de camp aquiloniens (le rapport évident en tant que "garde fou" de leurs barbares respectifs qu'entretiennent Tu et Trocero vient facilement en tête), mais les interactions qu'ont ces personnages avec les héros sont gérées de manières radicalement différentes, et notamment en ce qui concerne l'inévitable Brule, qui prend une part active à de nombreux scénarios et sans qui, chose impensable chez Conan, Kull n'aurait même pas survécu à sa première aventure. Nombre des adaptations, notamment bédé, de Kull usent d'ailleurs de son setting fixe et de ce casting étendu pour ajouter, outre un lot de backstory plutôt bienvenu, de nouvelles figures particulièrement intéressantes. Je pense tout spécialement à Igraine, sa femme dans la trilogie de mini-séries publiée entre 2008 et 2011 chez Dark Horse (et inventée de toute pièce, il n'y a pas de Reine de Valusie dans les nouvelles d'Howard), qui ancre l'atlante dans sa réalité politique. Le personnage a ainsi plusieurs facettes : fille de l'ancien roi, elle a aidé Kull et l'a épousé plus par ambition qu'autre chose, mais le couple développe néanmoins un profond attachement. Ce qui me fait penser que, là encore à l'inverse de son petit frère cimmérien, Kull n'a à aucun moment dans aucune nouvelle le moindre désir charnel envers qui que ce soit ; il éveille parfois l'intérêt de quelques figures féminines qu'il peut rencontrer, mais il a plus souvent affaire à de jeunes couples éplorés et agit généralement en sage monarque paternaliste (la raison même de son bannissement d'Atlantis est un acte de pitié envers une jeune femme), loin du débraillage décomplexé du cimmérien. Dernier petit détail amusant, c'est également via les bandes dessinées (mais cette fois chez Marvel) que sera développée Zénobia, la reine de Conan (qu'il rencontre et épouse dans L'Heure du dragon mais qui ne sera plus jamais évoquée ailleurs).
Mais revenons-en à cette poignée de main fusionnelle... Kull est un atlante et Brule un picte, et ces deux peuples se vouent une haine tenace. Mais ils trouvent ici un terrain (et un lieu) d'entente commun, loin de leurs régions de naissance respectives, et l'écart que leur alliance fictionnelle incarne entre les caractères littéraires de Kull et Conan se reporte de la même manière dans les paysages que les deux héros occupent. Qu'il s'agisse de sa native Atlantide, contrée barbare coupée du monde aux meurs païens, ou de sa Valusie d'adoption, le monde de Kull, la Thurie, est presque l'opposé systématique de l'ère hyborienne de Conan. Même les puissants royaumes comme l'Aquilonie semblent petits, sordides, en comparaison de ceux que visitent Kull. Un reflet évident de la corruption dans lequel baigne le monde de Conan, qui n'a pas encore envahi le passé lointain que représente le présent de Kull, mais en contrepartie (et de manière très paradoxale), le monde de Conan semble plus vivant, presque plus sain - plus humain, moins stratifié, moins ankylosé par des siècles de codes religieux craintifs. Les monstres de Conan sont bien souvent de chair et de sang, et ses momies sont des créatures de décadence et de putréfaction, anciennes et maudites depuis des millénaires, depuis, justement, le temps de Kull.
Et si la civilisation thurienne est plus... eh bien... civilisée, ses étendues sauvages sont aussi plus farouches. Le monde de Kull est un monde d'excès et sa rase-campagne n'est en rien un décor de paresse bucolique. Ce n'est pas une terre de liberté comme pour Conan, elle est synonyme de danger constant et de mort immédiate. De très larges zones du continent de Kull sont inexplorées, et les Hommes sont cloîtrés dans des villes-forteresse qui les protègent d'horreurs pré-humaines jamais complètement vaincues. L'Atlantide elle-même, ce monde que Platon voulait comme un phare de civilisation et de technologie, est ici synonyme de la plus abjecte sauvagerie - littéralement l'ancêtre de la Cimmérie, un monde plus mythique que réel, et pourtant à portée de quelques brasses.
En Thurie, même les arbres combattent contre le héros, dans le poème The King and the Oak (Le Roi et le chêne). Il n'y a, tout simplement, pas de repos pour Kull. Jamais ni nulle part est-il en sécurité, et il est constamment mis à l'épreuve par son propre monde. Conan, lui, fait partie intégrante de la sauvagerie hyborienne ; mieux, il en est l'incarnation même.
Notez par ailleurs que c'est précisément l'environnement urbain et la sédentarité de Kull qui lui offrent l'étendue de son entourage.
En vérité, la seule réelle connexion entre les deux rois-barbares vient de leur caractère, et de ces "accès de mélancolie tout aussi démesurés que [les] joies", un trait, manifestement, partagé par leur créateur.
En ça, Conan n'est pas moins philosophe que Kull, mais le cimmérien -peut-être aussi Howard lui-même, d'où ce changement de héros- a trouvé une manière d'accepter le monde tel qu'il est (superbement exprimée dans La Reine de la Côte noire) et de repousser ses démons intérieurs.
L'incapacité de Kull à trouver son public (et les éditeurs) à l'époque n'est en rien due à la qualité (ou manque de) du personnage, et le succès de Conan ne s'explique aucunement parce qu'il serait "plus intéressant" que son grand frère. Tout simplement, Howard prenait encore ses marques d'écrivain en 1929, et la voix si particulière qu'on lui connait ne viendra qu'avec la réalisation du personnage de Conan. Au rayon des passassions et pour en revenir au film de John Millius et ses nombreuses intersections, il est à ce titre souvent supposé que l'épée que trouve Schwarzie dans une tombe perdue au milieu du désert n'est pas nommée l'Epée atlante juste parce que ça sonne bien. Le squelette de guerrier auquel il prend l'arme serait alors effectivement celui de Kull, qui s'effondre et s'incline après avoir, enfin, trouvé un successeur digne de lui. Bien sûr, tout cela n'est que conjoncture, mais dans un environnement de magie mystique et considérant la méticulosité avec laquelle Millius a mélangé les deux personnages, je ne serais pas surpris si c'était bel et bien le cas. Mais reprenons...
Il y a une évidente part autobiographique dans la figure de Kull. Kull est un philosophe enfermé dans le corps d'un guerrier ; ou, peut-être, un guerrier maudit par la perspicacité d'un philosophe. Toujours est-il qu'il n'est chez lui nulle-part, pas même dans son propre corps. Il est un roi, mais il ne sera jamais accepté en tant que tel, et si les gras valusiens admirent sa puissance, ils voient aussi sa peau brunie et ses muscles d'aciers comme la marque irréfutable de sa nature de sauvage.
Pas que Kull fut plus à sa place parmi son propre peuple, remarquez. Enfant trouvé, il n'est probablement pas vraiment atlante, et la superstitieuse Atlantide ne lui est pas moins étrangère que la culture valusienne ; une histoire comme Exile of Atlantis (Exilé d'Atlantide) le voit ainsi systématiquement remettre en cause les traditions. C'est même précisément ce qui le met en quête "d'autre chose"... Et ce passé, contrairement à la constante fuite en avant de Conan, finira par le rattraper.
J'ai du mal à trouver meilleure description de Robert E. Howard lui-même.
Si Kull est Howard tel qu'il fut probablement, Conan est sans doute Howard tel qu'il aurait voulu être. Partisan de ce que le romancier nommait lui-même les "trois F" (fighting, feeding, et vous pouvez deviner le dernier), Conan, du moins jusqu'à ce qu'il devienne roi, s'adonnait à ce que son créateur, vivant chez ses parents dans le Texas rural, n'aurait jamais osé. Il était une fantaisie, au sens le plus littéral du terme, et une aussi sauvage que fascinante. Kull, au contraire, n'a "jamais connu l'amour", et son temps avant de se coiffer de la couronne de Valusie ne semble pas meilleur qu'après. Et si la description commune de Conan comme d'un bourrin débile tout juste bon à planter des épées dans des crânes est évidemment absurde, le cimmérien d'Howard étant un personnage bien plus subtil que son exploitation moderne ait pu le laisser penser, il reste effectivement un guerrier rustre, excessif et braillard, libre de toute convenance.
Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que toute cette bravade ne le sauve pas pour autant. A la fin, Conan n'est qu'une version hypertrophiée et désinhibée de Kull, et on n'échappe pas à soi-même. Il y a toujours quelque part cette écrasante sensation que les deux personnages combattent -et perdent- face aux même démons intérieurs.
Un côté irrémédiablement nordique et fataliste qui fait, précisément, le sel de Kull : des deux, l'atlante est le seul qui regarde au plus profond des proverbiaux abysses et ne bronche pas. Il ne se cache pas. Il ne prétend pas que le vin, une femme ou le sang d'une bataille pourront illuminer l'obscurité. Il continue simplement de regarder.
Et du coin des lèvres, sous un sourire fade, il chuchote... Ka nama kaa lajerama.
Largement.
Ce qui est rigolo, ayant dit ça, c'est que si l'on me demandait de donner les meilleures nouvelles et le meilleur perso d'Howard, je citerais quand même le grand cimmérien, mais Kull d'Atlantis, Roi barbare de Valusie, a quelque chose de spécial, un "truc" que la disparité alimentaire un brin binaire des récits de Conan ne touchera que trop rarement (sur les évidents La Reine de la Côte noire ou La Tour de l'éléphant, par exemple). D'un côté, c'est tout à fait logique, Conan étant le héros d'environ six fois plus d'aventures que son prédécesseur, ce dernier étant purement et simplement son prototype, avec un côté plus "adolescent", plus contemplatif et boudeur, plus humain presque, loin de la rustre assurance du barbare taciturne.
Kull, c'est King Conan avant King Conan, et ce d'autant plus logiquement qu'ils ont la même nouvelle pour origine...
La représentation de Kull qu'offrira John Bolton pour Marvel dans les années 80 est probablement sa meilleure (et la plus iconique), parvenant par quelques subtiles touches à le démarquer très clairement de Conan. Ceci étant dit, l'instance sur la figure de l'atlante comme "ax-wielder" est un peu exagérée.
A la fin de l'année 1929, By This Axe I Rule! est la toute première nouvelle qu'un jeune Robert E. Howard (il n'a alors que 23 ans) soumet au très respecté magazine Argosy, le leader incontesté du marché pulp, et à Adventure, un de ses concurrents. C'est aussi l'une des premières unanimement rejetée. Trop lisse, trop pataude, elle sera longuement retouchée, accouchant finalement, trois ans plus tard, de Phoenix on the Sword, la première nouvelle de Conan. Howard y avait substitué l'intrigue secondaire (un couple un peu gnan-gnan) de Kull pour une virée surnaturelle dans les entrailles du palais du cimmérien, et centré toute l'introduction sur le complot dont le Roi d'Aquilonie était la cible, en présentant abondamment les instigateurs.
Il est indéniable que Le Phénix sur l'épée est un récit supérieur à Par cette hache, je règne (qui ne se verra par ailleurs publiée que quelques décennies plus tard, quand Lancer Books et Lin Carter compileront les nouvelles du Roi de Valusie en 1967 dans King Kull), mais si c'est Conan qui lui apporta la célébrité, Howard tenait particulièrement au personnage de Kull.
C'est que si elle est l'origine de Conan, By This Axe/Phoenix on the Sword est aussi et presque logiquement la dernière nouvelle que le texan écrira pour Kull. En effet, il avait plus tôt dans cette même année 1929 vendu à Weird Tales (un magazine devenu iconique mais alors bien moins renommé qui avait déjà publié les premiers récits de Solomon Kane l'année précédente) les deux seules nouvelles de Kull qui seraient publiées de son vivant.
La première, et la plus importante, était The Shadow Kingdom (Le Royaume des chimères - note : j'utilise ici les titres français de l'édition intégrale de Bragelonne, parue en 2010), plus longue, plus fantastique, plus recherchée, plus mélancolique et plus mystérieuse que By This Axe (plus dans le style Weird Tales, en somme, qui agrémentera par ailleurs sa publication d'une superbe illustration de Hugh Rankin, le spécialiste maison des intérieurs fantasmatiques). Elle allait poser les bases du héros et de sa mythologie, et devenir le terreau sur lequel grandirait l'Age Hyborien.
Kull n'était pas le premier héros de fantasy, loin de là -et c'est une question sur laquelle je me garderai bien de me pencher pour l'instant-, mais le souffle de folklore mystique et mythique qu'il apportait semblait loin de ce qu'on connaissait à l'époque. Weird Tales était connu pour publier des récits qu'aucun autre magazine n'aurait osé proposé et cette entrée, d'apparence anodine, allait déclencher une drôle de suite d'événements.
The Shadow Kingdom, par Hugh Rankin
Le Royaume des chimères était au programme du numéro d'août de Weird Tales. Dès le suivant, en septembre, sera publié Les Miroirs de Tuzun Thune (The Mirrors of Tuzun Thune). Ce second récit (qui, pour les curieux, est ma nouvelle favorite d'Howard) était plus étonnant encore que le premier, et contenait déjà les raisons de la mort éditoriale du personnage, plus encore que le rejet d'Argosy à venir. Fatigué, hanté, lassé, Kull n'avait plus les épaules pour satisfaire le jeune auteur dans sa recherche de grands espaces. Il était un reflet de ses premières expérimentations, et après qu'Howard s'en fut revenu à Salomon Kane et à quelques récits historiques (1929-1932 est aussi la période à laquelle il crée Cormak Fitzgeoffrey, un croisé particulièrement violent, et Bran Mak Morn, un chef picte de la période romaine), Conan, de toute sa puissance, balaiera le souvenir de son ancêtre.
Ou bien ?
Conan s'élèvera toujours au dessus de Kull dans l'imaginaire populaire, et à raison, mais l'ombre de l'atlante est partout dans les pas des cimmérien. Il n'est pas un embryon mal fini et abandonné de son littéraire -voire littéral, car l'Age Thurien de Kull est le lointain passé de l'Age Hyborien de Conan- descendant. Tout simplement, Kull est ce qu'Howard proposa de plus proche d'une véritable transposition de lui-même dans ses histoires, et son essence transpire des pages de Conan.
Et ce spectre est tellement palpable qu'il en mêle parfois les destinés des deux personnages. Comme, par exemple, en 1982, quand John Millius, désireux de retranscrire la moelle du héros howardien, s'offrira un hasardeux mais payant truchement.
Voyez-vous, malgré les nombreuses et sincères tentatives de réhabilitation de ce grand film nihiliste rugueux (que, personnellement, je n'ai jamais aimé, pour plein de raisons philosophiques et narratives) au fil des années, et pour tout ce que son faux-remake nanardesque de 2011 est plein de trous, de cabotinage ridicule et de cinématographie absurde (non, je ne l'aime pas plus que le précédent), ce dernier propose toutefois quelque chose qui manque à mes yeux cruellement au film de 1982 : Jason Momoa y est plus Conan que Schwarzie ne le sera jamais. La raison à ça, c'est que le film de Millius est à propos de Kull, pas de Conan ; c'est Kull qui a été esclave dans sa jeunesse, c'est Kull qui est mélancolique et marqué par la décimation de son peuple, c'est Kull qui a des réflexions nietschéenes identitaires sur sa nature d'homme, et c'est Kull qui lutte contre les hommes-serpents et le sorcier Thulsa Doom. Des répliques entières ("Can you summon demons, wizard ?") sont tirées d'épisodes de Kull. Oui, c'est de la triche, mais c'est très intelligemment fait et ça marche, créant un personnage bien plus vivant et réel pour le spectateur (vous comprendrez pourquoi d'ici la fin de cet exposé).
Ce qui est à mourir de rire dans cette drôle d'histoire, c'est que dans une tragique ironie identitaire, ce qui deviendra l'horrible Kull le conquérant avec Kevin Sorbo était à l'origine le scénario du film King Conan, basé en partie sur L'Heure du dragon, le seul roman dédié par Howard au cimmérien (qui n'écrira de toute sa carrière que deux romans, l'autre étant Almuric, publié à titre posthume en 1939, un hommage à Edgar Rice Burroughs n'ayant strictement rien à voir avec nos barbares).
Conan, Kull et Solomon Kane, par Joe Kubert
Il n'est pas étonnant, de fait, que les deux personnages aient fini par se confondre dans l'imaginaire collectif. Non seulement ils partagent, disais-je, la même origine, mais les hasards de la fiction et de l'édition n'ont eu de cesse de les faire s'entrecroiser. Ils sont si similaires qu'ils sont littéralement identiques dans leurs représentations graphiques. Ils sont des barbares, des rois ; des barbares devenus rois par la force de leurs mains.
Mais à bien y regarder, c'est précisément là que se situe aussi la plus grande différence entre eux.
La couronne d'Aquilonie signifie le début de la fin pour Conan, arrivé au bout de son parcours de brigand et de mercenaire, jeune fauve des steppes amené par la force d'une irrévocable destinée à nettoyer la corruption de l'état le plus puissant de son temps. Pour Kull, devenir roi est exactement son commencement. L'accession au trône de Valusie est ce qui lance son arc narratif. Là, il découvre les secrets de son royaume, le poids de la gouvernance, et surtout sa noblesse. Là où Conan est plein d'assurance et fort de mille expériences, Kull est un mont d'incertitude. Relisant Le Royaume des chimères, le sentiment que Kull a quelque chose à prouver (reflet direct de son auteur à l'époque) est palpable. Il n'a pas la confiance absolue en ses capacités qu'a Conan. Il n'est pas un géant de bronze ; il est puissant, certes, mais friable. Et il a besoin d'aide. Quelque part, c'est précisément ce qui rend le personnage si attirant. Il ne veut pas la couronne autant qu'il en a besoin. Pour Kull, elle est le test ultime, le moyen de prouver sa valeur.
C'est que Kull a un passé - un qui sera publié bien plus tard, là encore grâce au recueil de Lancer, mais un passé néanmoins, et si le lecteur d'alors l'ignore, nous non, et Howard non plus. Kull a une origine, une famille, un traumatisme initial, il n'est pas un grand barbare anonyme qui atterrit un peu au hasard sur les lieux d'une aventure. Une partie de moi n'a jamais pu s'empêcher de penser que si les nouvelles de Conan ont été écrites et publiées dans un tel désordre, c'est précisément parce qu'Howard le savait être plus une idée, la personnification d'un absolu barbare, qu'un être de chair et de sang. En fait, si l'on cherche l'origine de Conan dans Le Royaume des chimères, on peut tout autant regarder vers Kull que vers Brule, son étrange et mutique allié picte. Brule montre même bien plus des "qualités" qui seront associées au cimmérien que son compère - de son appétit sexuel à son arrogance en passant par son apparence féline et ses talents de voleur. Qui plus est, Kull est irrémédiablement lié au trône, alors que Brule, comme Conan, est libre.
On en viendrait à imaginer que, lorsque Kull et Brule se serrent les mains après avoir dissimulé le corps du premier homme-lézard, on a plus affaire à la fusion des deux personnalités qui formeront plus tard celle de Conan qu'à deux guerriers scellant un pacte.
Outre son pendant sauvage, Brule est aussi le symbole de quelque chose que Kull possède et que Conan n'aura jamais : un flot de personnages récurrents autour de lui. Certes, on pourrait tracer des parallèles entre de nombreux conseillers valusiens et les aides de camp aquiloniens (le rapport évident en tant que "garde fou" de leurs barbares respectifs qu'entretiennent Tu et Trocero vient facilement en tête), mais les interactions qu'ont ces personnages avec les héros sont gérées de manières radicalement différentes, et notamment en ce qui concerne l'inévitable Brule, qui prend une part active à de nombreux scénarios et sans qui, chose impensable chez Conan, Kull n'aurait même pas survécu à sa première aventure. Nombre des adaptations, notamment bédé, de Kull usent d'ailleurs de son setting fixe et de ce casting étendu pour ajouter, outre un lot de backstory plutôt bienvenu, de nouvelles figures particulièrement intéressantes. Je pense tout spécialement à Igraine, sa femme dans la trilogie de mini-séries publiée entre 2008 et 2011 chez Dark Horse (et inventée de toute pièce, il n'y a pas de Reine de Valusie dans les nouvelles d'Howard), qui ancre l'atlante dans sa réalité politique. Le personnage a ainsi plusieurs facettes : fille de l'ancien roi, elle a aidé Kull et l'a épousé plus par ambition qu'autre chose, mais le couple développe néanmoins un profond attachement. Ce qui me fait penser que, là encore à l'inverse de son petit frère cimmérien, Kull n'a à aucun moment dans aucune nouvelle le moindre désir charnel envers qui que ce soit ; il éveille parfois l'intérêt de quelques figures féminines qu'il peut rencontrer, mais il a plus souvent affaire à de jeunes couples éplorés et agit généralement en sage monarque paternaliste (la raison même de son bannissement d'Atlantis est un acte de pitié envers une jeune femme), loin du débraillage décomplexé du cimmérien. Dernier petit détail amusant, c'est également via les bandes dessinées (mais cette fois chez Marvel) que sera développée Zénobia, la reine de Conan (qu'il rencontre et épouse dans L'Heure du dragon mais qui ne sera plus jamais évoquée ailleurs).
Mais revenons-en à cette poignée de main fusionnelle... Kull est un atlante et Brule un picte, et ces deux peuples se vouent une haine tenace. Mais ils trouvent ici un terrain (et un lieu) d'entente commun, loin de leurs régions de naissance respectives, et l'écart que leur alliance fictionnelle incarne entre les caractères littéraires de Kull et Conan se reporte de la même manière dans les paysages que les deux héros occupent. Qu'il s'agisse de sa native Atlantide, contrée barbare coupée du monde aux meurs païens, ou de sa Valusie d'adoption, le monde de Kull, la Thurie, est presque l'opposé systématique de l'ère hyborienne de Conan. Même les puissants royaumes comme l'Aquilonie semblent petits, sordides, en comparaison de ceux que visitent Kull. Un reflet évident de la corruption dans lequel baigne le monde de Conan, qui n'a pas encore envahi le passé lointain que représente le présent de Kull, mais en contrepartie (et de manière très paradoxale), le monde de Conan semble plus vivant, presque plus sain - plus humain, moins stratifié, moins ankylosé par des siècles de codes religieux craintifs. Les monstres de Conan sont bien souvent de chair et de sang, et ses momies sont des créatures de décadence et de putréfaction, anciennes et maudites depuis des millénaires, depuis, justement, le temps de Kull.
Et si la civilisation thurienne est plus... eh bien... civilisée, ses étendues sauvages sont aussi plus farouches. Le monde de Kull est un monde d'excès et sa rase-campagne n'est en rien un décor de paresse bucolique. Ce n'est pas une terre de liberté comme pour Conan, elle est synonyme de danger constant et de mort immédiate. De très larges zones du continent de Kull sont inexplorées, et les Hommes sont cloîtrés dans des villes-forteresse qui les protègent d'horreurs pré-humaines jamais complètement vaincues. L'Atlantide elle-même, ce monde que Platon voulait comme un phare de civilisation et de technologie, est ici synonyme de la plus abjecte sauvagerie - littéralement l'ancêtre de la Cimmérie, un monde plus mythique que réel, et pourtant à portée de quelques brasses.
En Thurie, même les arbres combattent contre le héros, dans le poème The King and the Oak (Le Roi et le chêne). Il n'y a, tout simplement, pas de repos pour Kull. Jamais ni nulle part est-il en sécurité, et il est constamment mis à l'épreuve par son propre monde. Conan, lui, fait partie intégrante de la sauvagerie hyborienne ; mieux, il en est l'incarnation même.
Notez par ailleurs que c'est précisément l'environnement urbain et la sédentarité de Kull qui lui offrent l'étendue de son entourage.
En vérité, la seule réelle connexion entre les deux rois-barbares vient de leur caractère, et de ces "accès de mélancolie tout aussi démesurés que [les] joies", un trait, manifestement, partagé par leur créateur.
En ça, Conan n'est pas moins philosophe que Kull, mais le cimmérien -peut-être aussi Howard lui-même, d'où ce changement de héros- a trouvé une manière d'accepter le monde tel qu'il est (superbement exprimée dans La Reine de la Côte noire) et de repousser ses démons intérieurs.
L'incapacité de Kull à trouver son public (et les éditeurs) à l'époque n'est en rien due à la qualité (ou manque de) du personnage, et le succès de Conan ne s'explique aucunement parce qu'il serait "plus intéressant" que son grand frère. Tout simplement, Howard prenait encore ses marques d'écrivain en 1929, et la voix si particulière qu'on lui connait ne viendra qu'avec la réalisation du personnage de Conan. Au rayon des passassions et pour en revenir au film de John Millius et ses nombreuses intersections, il est à ce titre souvent supposé que l'épée que trouve Schwarzie dans une tombe perdue au milieu du désert n'est pas nommée l'Epée atlante juste parce que ça sonne bien. Le squelette de guerrier auquel il prend l'arme serait alors effectivement celui de Kull, qui s'effondre et s'incline après avoir, enfin, trouvé un successeur digne de lui. Bien sûr, tout cela n'est que conjoncture, mais dans un environnement de magie mystique et considérant la méticulosité avec laquelle Millius a mélangé les deux personnages, je ne serais pas surpris si c'était bel et bien le cas. Mais reprenons...
Il y a une évidente part autobiographique dans la figure de Kull. Kull est un philosophe enfermé dans le corps d'un guerrier ; ou, peut-être, un guerrier maudit par la perspicacité d'un philosophe. Toujours est-il qu'il n'est chez lui nulle-part, pas même dans son propre corps. Il est un roi, mais il ne sera jamais accepté en tant que tel, et si les gras valusiens admirent sa puissance, ils voient aussi sa peau brunie et ses muscles d'aciers comme la marque irréfutable de sa nature de sauvage.
Pas que Kull fut plus à sa place parmi son propre peuple, remarquez. Enfant trouvé, il n'est probablement pas vraiment atlante, et la superstitieuse Atlantide ne lui est pas moins étrangère que la culture valusienne ; une histoire comme Exile of Atlantis (Exilé d'Atlantide) le voit ainsi systématiquement remettre en cause les traditions. C'est même précisément ce qui le met en quête "d'autre chose"... Et ce passé, contrairement à la constante fuite en avant de Conan, finira par le rattraper.
J'ai du mal à trouver meilleure description de Robert E. Howard lui-même.
King Kull, par Marie et John Severin, 1977
Si Kull est Howard tel qu'il fut probablement, Conan est sans doute Howard tel qu'il aurait voulu être. Partisan de ce que le romancier nommait lui-même les "trois F" (fighting, feeding, et vous pouvez deviner le dernier), Conan, du moins jusqu'à ce qu'il devienne roi, s'adonnait à ce que son créateur, vivant chez ses parents dans le Texas rural, n'aurait jamais osé. Il était une fantaisie, au sens le plus littéral du terme, et une aussi sauvage que fascinante. Kull, au contraire, n'a "jamais connu l'amour", et son temps avant de se coiffer de la couronne de Valusie ne semble pas meilleur qu'après. Et si la description commune de Conan comme d'un bourrin débile tout juste bon à planter des épées dans des crânes est évidemment absurde, le cimmérien d'Howard étant un personnage bien plus subtil que son exploitation moderne ait pu le laisser penser, il reste effectivement un guerrier rustre, excessif et braillard, libre de toute convenance.
Ce qui est particulièrement intéressant, c'est que toute cette bravade ne le sauve pas pour autant. A la fin, Conan n'est qu'une version hypertrophiée et désinhibée de Kull, et on n'échappe pas à soi-même. Il y a toujours quelque part cette écrasante sensation que les deux personnages combattent -et perdent- face aux même démons intérieurs.
Un côté irrémédiablement nordique et fataliste qui fait, précisément, le sel de Kull : des deux, l'atlante est le seul qui regarde au plus profond des proverbiaux abysses et ne bronche pas. Il ne se cache pas. Il ne prétend pas que le vin, une femme ou le sang d'une bataille pourront illuminer l'obscurité. Il continue simplement de regarder.
Et du coin des lèvres, sous un sourire fade, il chuchote... Ka nama kaa lajerama.
Demon in a Silvered Glass de Doug Moench et John Bolton ; si vous ne deviez lire qu'une seule histoire de Kull, sous quelque support que ce soit, lisez celle-ci. Publiée dans Bizarre Adventures #26 (Marvel,1981) puis compilée dans Savage Sword of Kull volume 1 (Dark Horse, 2010)(pas de VF, malheureusement). Mélange des Miroirs de Tuzun Thune et du Royaume des chimères, elle contient tout Kull, condensé en 56 pages de sublime noir et blanc.
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