Dans l'ordre : Fleuve Noir (1962), Marabout (1973), NéO (1982), Fleuve Noir (1983)
De manière plus qu'intéressante, chacune de ces éditions est séparée de dix ans (jusqu'au choc des deux dernières, du moins), et on peut facilement s'apercevoir des différences de public (tant celui visé explicitement par l'éditeur que le public littéraire général) d'une décennie à l'autre. Pour illustrer plus facilement mon propos, je préfère ne pas vous présenter le récit ni l'auteur tout de suite et plutôt réfléchir à demi sur ce que les couvertures disent (ou pas) du livre.
Les années 60 voulaient de l'aventure dépaysante, et la sortie du Tambour d'angoisse en 1962 avec une couverture façon tam-tams de l'enfer (et qui provoque chez moi des tas de pensées tarzanesques et phantomiennes) s'avère parfaitement dans le ton. L'illustration de Michel Gourdon, spécialiste du polar, évoque de sanglants rituels africains et un récit haletant de bruit et de fureur, mais surtout, elle fait preuve de toute la retenue de l'époque, où seul le bandeau de la collection Fleuve Noire Angoisse, dont Bruss était un habitué, laisse apparaître l'identité réelle du texte.
Quand Marabout réédite le livre en 1973, c'est dans sa collection Fantastique, à l'identité visuelle très marquée et pour laquelle toute retenue est depuis longtemps passée par la fenêtre. La couverture s'intègre donc dans une vision éditoriale particulière et d'autant plus forte qu'elle est réalisée par Henri Lievens, artiste quasi incontournable qui signera plus des trois quarts des illustrations de la collection entre 1962 et 1983. Qui plus est, les seventies voient une évolution du genre vers un traitement très graphique dans le contexte des contre-cultures de l'époque. De fait, on a là une vision horrifique puissante et parfaitement assumée, Le Tambour d'angoisse version 1973 s'intégrant dans une ligne éditoriale où figurent déjà le She d'H. Rider Haggard, le Dracula de Bram Stocker ou le Malpertuis de Jean Ray, et destinée à un public très ciblé, habitué aux classiques de l'épouvante et à l'aventure pulp aux forts accents ésotériques.
C'est cette dernière orientation qu'on retrouve en 1982 chez les Nouvelles éditions Oswald. La collection NéO est ouvertement pulp et à forte consonance nord-américaine, s'attachant à (re)publier des auteurs alors trop peu connus en France comme le Robert E. Howard hors-Conan ou son compère de Weird Tales Clark Ashton Smith. Selon les canons du genre, Jean-Michel Nicollet (artiste attitré de la collection) présente alors une figure féminine en danger dans des ruines indistinctes. A ce titre, et exactement comme pour celle de Lievens, l'illustration retranscrit parfaitement l'orientation de sa collection. Elle s'attache à renforcer un aspect lovecraftien (les civilisations perdues et les gens effrayés) qui apparaît au final tout à fait naturel dans ce contexte, et se fait beaucoup plus explicite que les précédentes.
Pour finir, je n'ai que du mal à dire de l'horreur bariolée et typique des conaneries des eighties concoctée par Pierre Golvan pour la réédition chez Fleuve Noir de 1983, dans la collection Horizons de l'au-delà. On est en face d'une illustration pseudo-symbolique qui correspond pleinement aux lignes typées science-fiction-fantasy-fantastique d'alors, publié dans une collection aux idées très kingiennes (au sens Stephen du terme), totalement générique et qui ne renseigne aucunement sur le contenu du bouquin. On pourrait s'attendre à un récit jouant sur le temps, à découvrir une menace ailée en plein désert, mais il est quand même écrit "le tambour d'angoisse" en gros en travers, et très honnêtement, si le livre n'avait jamais été publié que sous cette couverture, je pense que je ne l'aurais jamais lu. Sorti en même temps ou presque que l'édition NéO, cette nouvelle version Fleuve Noire est assez symptomatique des publications plus ou moins automatiques de littérature de genre dans les années 80 (et spécialement chez cet éditeur) : il est très improbable que l'illustration ait été pensée pour ce livre, et il s'agit bien plus certainement d'une de ces illustrations généralistes achetées en masse par les éditeurs et placardées en couverture au petit bonheur la chance.
Voila donc pour les couvertures, et le bouquin dans tout ça ?
Le Tambour d'angoisse est l'histoire d'une expédition scientifique envoyée dans le désert australien en quête d'uranium. Hyper équipée, ravitaillée comme à la parade et en pleine possession de ses moyens, elle tombe un jour sur les restes rocheux de ce qui semble être une ville indistincte. Le soir même, un angoissant tambour se met à résonner dans le désert...
Racontée sous forme de journal de campagne, la lente et douloureuse descente aux enfers des quinze membres de l'équipe répond à tous les poncifs du genre, mais est admirablement rythmée et stylistiquement impeccable. B.R. Bruss (de son vrai nom René Bonnefoy) est un auteur "post-atomique" glaçant, passé maître dans l'art de déconstruire la réalité de ses personnages. Plutôt habitué au contexte science-fictionnel (on lui doit l'exceptionnel Et la planète sauta... en 1946, dont le titre se passe de commentaire), il en était à la sortie du Tambour d'angoisse à sa six ou septième apparition dans la collection Angoisse. Et les deux genres s'y téléscopent assez frontalement sur fond d'archéologie hantée. Pour faire simple, Le Tambour d'angoisse est mon récit d'horreur favori. Je l'ai lu pour la première fois à douze ou treize ans, et les images qu'il m'a mises devant les yeux sont imprimées à jamais dans mon imaginaire. Il est, à mes yeux, la quintessence de l'angoisse lovecraftienne francophone, et la raison même pour laquelle j'aime ce type de récits pour commencer. (J'avoue en revanche avoir énormément de mal à le relire : avec le temps, il est devenu un objet de fascination pop tout particulier, mais il m'avait réellement terrifié à l'époque, et ça aussi, c'est imprimé à jamais dans mon imaginaire.)
Quant aux couvertures... J'aime énormément celle de Michel Gourdon, mais pour plein de raisons burroughsiennes plus ou moins aléatoires qui n'ont absolument rien à voir avec Le Tambour d'angoisse, aussi ma favorite est indiscutablement celle de Lievens. C'est celle de ma jeunesse et c'est définitivement la plus proche du sujet (s'il y a débat sur ce point avec la version de Nicollet, celle-ci est autrement plus plate et totalement inintéressante à mon sens). Elle est aussi beaucoup plus fine qu'il n'y parait : au premier abord, elle fait carrément affiche de film de zombies, et elle ne se dévoile réellement qu'à la lecture du livre. Elle est, au final, la seule à montrer réellement l'angoisse intérieure lancinante du récit (et la terrifiante tâche bleue sur le front, un élément central du livre). Et puis elle garde un côté éminemment seventies qui, certes, ne sera pas au goût de tout le monde, mais que j'affectionne tout particulièrement (un détail qui m'amuse toujours énormément, par exemple, c'est la police d'écriture des éditions Marabout de l'époque qui pue le psychédélisme ambiant à des kilomètres), effet renforcé par sa palette particulière, exigée par le fond noir caractéristique de la collection dont elle est issue. Toutefois, même si je savais en ouvrant le bouquin qu'il n'était pas question de zombies (malgré la présence magique du tambour, la quatrième de couverture présente un cadre plutôt cartésien), le côté exploitation du graphisme vend une histoire assez différente du texte même, et je m'attendais à quelque chose de plutôt sanguin (pas sanglant, pas confondre). Ce n'est pas le cas, et j'aurais du mal à m'en plaindre. A la lecture, j'avais des images d'explorations indianojoneso-madmaxiennes en tête, dans un désert long et blanc façon salt flats de Bonneville, aride et surexposé, mais je pense que l'envie de Bruss, vu l'auteur et l'époque, s'approchait plus d'un genre de Robinson Crusoé sur Mars hyper angoissant aux accents de fin du monde (ce qu'aucune couverture ne retranscrit, d'ailleurs).
Le livre démarre comme un roman d'aventure avant de sombrer peu à peu dans l'horreur, c'est très psychologique, lovecraftien en diable (on n'a pas peur de ce qui effraie les héros, on a peur précisément parce qu'ils ont peur, c'est l'inconnu qui terrifie - au passage, si vous pensiez que l'horreur lovecraftienne c'était juste des tentacules, vous étiez d'innocentes victimes de l'image ; c'est pas grave, mais allez lire le monsieur, maintenant, c'est important), et très proche, en fait, des films d'horreur à métamorphoses et/ou à menaces rampantes des années 50, où l'accent porte sur la psyché des protagonistes et leur perte progressive de contact avec la réalité, pas sur l'impact visuel (un truc qui me déplaît profondément dans le cinéma d'horreur depuis l'apparition des slashers - je ne lis/regarde pas d'horreur pour me faire peur, mais pour explorer les possibles). Pour rester dans la comparaison audiovisuelle, on est alors en pleine période phare de la Quatrième dimension (série qui débute en 59), La Mouche noire ou La Femme guêpe viennent de sortir aux Etats-Unis, et la France s'angoisse devant Les Diaboliques de Clouzot (qui m'a toujours fait penser à un genre de Ballet des sorcières de Leiber sans l'élément ésotérique). Des films et séries qu'on ne qualifierait absolument pas d'horreur aujourd'hui, mais de thrillers plus ou moins fantastiques. Le Tambour d'angoisse retranscrit bien ce type d'épouvante pernicieuse qui brouille les sens et l'esprit mais jamais ne se montre, terrifiante de par son absence même. Et assurément, c'est ce manque d'antagoniste défini qui ressort de cette collection de couvertures. Si Lievens parvient étonnement bien à traduire l'effet psychologique de la terreur sur les héros, Gourdon et Nicollet (on fera semblant de ne pas voir celle de Golvan) s'attachent à retranscrire la menace (ou absence de), et échouent bien tristement dans leur entreprise, rendant des couvertures certes évocatrices, mais manquant au final cruellement de punch.
D'où question : si vous aviez à en proposer une, qu'imagineriez-vous ?
La mienne serait probablement un désert plat et rougeoyant très diffus, avec quelques simili-montagnes pyramidales aux motifs inhumains en fond, quelques silhouettes minuscules écrasées par l'échelle du décor, et le sentiment d'être définitivement perdu devant rien du tout. De manière assez étrange (ou pas, justement), c'est exactement le même type d'image, mais verdâtre et dans un cadre junglesque, que je verrais bien sur la nouvelle Les Etres de l'abîme d'Abraham Merritt, une de mes (pré-)lovecrafteries favorites, ou, obscurcie à l'extrême et peuplée d'une unique tâche rousse, pour l'exploration infernale de Jirel dans Le Baiser/L'Ombre du Dieu noir...
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