jeudi 24 janvier 2013

Une chanson de feu et de glace


Ne te méprends pas sur le titre, cher lecteur, il ne s'agit aucunement d'un article dédié à la saga romanesque de George R.R. Martin. Non, non, Fire and Ice est un film d'animation signé Frank Frazetta et Ralph Bakshi qui, comme on peut s'y attendre vu l'identité de ses papas, sent bon la sword and sorcery.


1983, le cinéma de genre est en plein boom "fantasy de papa" suite au succès du Conan de Millius. Ralph Bakshi, a qui l'ont doit entre autre le dessin-animé avorté adapté du Seigneur des Anneaux à la fin des années 70, contacte son ami Frank Frazetta, illustrateur connu et reconnu du Cimmérien et de tas d'autres barbares plus ou moins moyen-âgeux, pour faire un film dans un univers rien qu'à eux et avec une patte graphique bien déterminée. Pas question de faire un film pour les gosses, les deux compères veulent du monstre velu, des pagnes en peaux de bêtes et des princesses topless. Ca n'a pas empêché le truc d'être "rated PG", mais c'est pas Cendrillon non plus. Oh non.


Le script est signé par Gerry Conway et Roy Thomas. Thomas, à l'époque à l'oeuvre sur le comics Conan de Marvel, appellera d'ailleurs Conway à l'aide pour la rédaction du script du film Conan the Destroyer l'année suivante. Pour l'anecdote, il semblerait que les deux compères se soient, à l'initiative de Ralph Bakshi, plus ou moins inspirés du poème Fire and Ice de Robert Frost (1923) pour créer leur postulat de base : le réalisateur, alors en pleine préproduction pour son deuxième volet du Seigneur des Anneaux -qui ne verra jamais le jour-, s'intéresse aux récits emblématiques de la fantasy. Parmi eux, donc, un petit poème inspiré par l'Enfer de Dante Alighieri.

Some say the world will end in fire;
Some say in ice.
From what I've tasted of desire
I hold with those who favor fire.
But if it had to perish twice,
I think I know enough of hate
To say that for destruction ice
Is also great
And would suffice.

L'histoire est toute prête, il ne reste plus qu'à poser la patte stylistique de Frank Frazetta par dessus.


Vu l'identité de son designer, personne ne sera surpris que le graphisme de Fire and Ice soit... particulier. On y reconnait autant la touche Frazetta que celle de l'animateur en chef (Bakshi avait déjà travaillé sur Fritz the Cat et Wizards dans les 70's et réalisera entre autres Cool World) et le résultat, voulu résolument adulte, paraît parfois incroyablement forcé. Frazetta est un des cover artists les plus recherché du moment et il sait comment accrocher l'oeil du badaud. Des demoiselles court vêtues, des barbares musclés couverts de sang et des monstres plus ou moins préhistoriques. S'il y avait une charte du parfait design de sword and sorcery, Fire and Ice cocherait soigneusement chaque prérequis. Techniquement, la chose est également très étrange. L'animation use du procédé de rotoscoping alors à la mode qui aide à des mouvements extrêmement fluides et le character-design très stylisé amplifie encore la chose, donnant parfois au personnages un côté désarticulé des plus surprenants. Toutefois, rien de bien méchant et le tout se marierait fort bien si certains backgrounds n'étaient aussi flou et diffus. Les peintures de James Gurney (Dinotopia) utilisées en toile de fond sont belles mais nombre d'entre elles, notamment en forêt, sont terriblement confuses et les cellulos très détaillés de Bakshi en ressortent très fort, laissant une impression de rêverie pas désagréable mais spatialement improbable. Pendant une poursuite, repérer qui va où est tout simplement impossible. Les couleurs, entre violets "corail" et verts "Mer du Nord", n'aident pas non plus. En résultent des plans certes maîtrisés techniquement mais terriblement confus narrativement.
Le parti-pris stylistique fonctionne néanmoins et Fire and Ice dispose d'une identité graphique qui fait incontestablement une grande partie de son charme. Son univers prend forme sans difficulté et l'oeil du spectateur, s'il n'est pas toujours très au fait de la position spatiale des protagonistes, va et viens au gré des coups de pinceaux puissants de Frazetta.
La peinture à l'huile en toile de fond (parfois sur plusieurs couches superposées) pour des personnages très découpés, c'est moins clair que l'aquarelle de chez pépé Disney mais question ambiance, ça fait pas un pli.


Et heureusement, car c'est sur cet habillage stylistique que le film tiens, une heure et demi durant, l'attention d'un spectateur assoupi. Le scénario de Fire and Ice, loin de ses prétentions artistiques et techniques, reste aussi ténu que son poème d'origine : si l'on y retrouve avec plaisir les fixettes de Frazetta (le Death Dealer, les bikinis), difficile de savoir ce qui a bien pu motiver Conway et Thomas pour la rédaction d'un script aussi fade -remarquez, Conan the Destroyer ne leur sera pas plus profitable. L'histoire de Teegra et Larn repose sur un improbable enchaînement de rencontres fortuites pendant que les deux puissances polaires du Monde se livrent une bataille de messagers. A la fin, il ne peut en rester qu'un et les gentils triomphent, bien évidemment.


On pourra reprocher à Fire and Ice d'essayer un peu trop fort d'être un classique et la banalité de son propos, mais il est néanmoins difficile de rester insensible à un film qui réussi le mariage contre-nature d'une animation résolument adulte (le sexisme évident du truc en devient même comique) et d'une fantasy plus jeune. Le rythme est soutenu, les voix convaincantes et la musique sert admirablement l'action. De poncif en poncif, on entre dans un monde lugubre et fantastique, aux couleurs irréelles, loin de la froide Cimmérie ou des déserts de Kush.

Et puis quand même... C'est beau.


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