vendredi 11 avril 2014

Pulp Fiction is not pulp fiction.


Cette nuit, pris par cette harpie qu'on nomme insomnie, j'ai regardé deux-trois films bien kitschounets, en diagonale, sans y faire trop attention, quand soudain, devant mes yeux ébahis, ma playlist (car je range mes films en playlists) "pulp" lançait Pulp Fiction, du sieur Tarantino.

Le film est bon, je l'aime beaucoup (c'est même le seul Tarantino que j'aime, et non, je ne développerai pas plus cette affirmation), mais que ce soit clair dès les premières ligne : Pulp Fiction n'a, n'a jamais eu et n'aura jamais rien à voir avec du pulp. Vraiment rien. Ca fait une heure que j'ai fini de le regarder et je me demande encore ce qu'il foutait dans cette playlist...

Le terme pulp fiction fait référence aux magazines imprimés aux Etats-Unis sur une pulpe de papier de mauvaise qualité (mais bon marché) au début du XXeme siècle, et ce jusque la fin de la Deuxième Guerre. Successeurs des dime novels et des magazines du XIXeme, les pulps avaient un champ de sujets élargi, balayant policier, western, aventure, fantastique, horreur et science fiction naissante. De fait, nombre d'auteurs fort respectables firent leurs débuts, voire vécurent la totalité de leur carrière, grâce aux pulps.
Toutefois, au delà des aventures à fourrures de Tarzan et Conan, au delà des voyages spatiaux d'Asimov et Bradbury, au delà des vengeances masquées du Spider et du Shadow, les pulps sont surtout (re)connus pour l'exploitation foutraque de chacun de leurs thèmes et ces histoires, écrites à la chaîne par des pseudonymes cachant souvent une petite dizaine d'auteurs différents, dont les ressors narratifs sont depuis devenus lieux communs.

Pour quiconque ayant lu plus d'un pulp dans sa vie (je ne vous en voudrais pas si ce n'est pas votre cas), il est impossible de ne pas noter l'existence d'un "style" pulp. Qu'il soit issu des inspirations de l'époque ou des méthodes même d'écriture, une nouvelle ou un roman en épisodes publié dans un pulp sonnera toujours pulp, même s'il avait l'incrongruitude d'être réédité dans un recueil d'Edgar Alan Poe, avec une belle couverture cartonnée et des volutes dorées. Des garçons comme Isaac Asimov ont, après être passé maîtres dans l'art de la nouvelle, vraiment développé un style totalement différent une fois libérés des carcans du pulp et il est impossible de rater les nombreuses nouvelles purement alimentaires écrites par Robert E Howard pour le cycle pourtant fort intéressant de Conan, ou d'Edgar Rice Burroughs sur les quelques 24 "romans" de Tarzan... Et je n'ose vous parler des Doc Savage, des Avenger, des Black Bat et de tous ces "pulp heroes" dont les volumes se comptent souvent par centaines, reprenant invariablement un schéma qui inspirera plus tard le fonctionnement des séries télé et de leur "méchant de la semaine".

Horreur, western, héros masqués, SF, épique (on ne disait pas encore fantasy et le terme communément admis de "sword & sorcery" ne sera inventé que dans les 60's), tout ces genres ont au début du siècle dernier fait partie d'un tout qu'on nomme aujourd'hui avec verve "pulp fiction" et qui stoppe net avec l'arrêt des-dits pulps au milieu des années 40. La raison pragmatique veut que la crise du papier aux USA à partir de 1942 ai eu raison des (trop) nombreux magazines, mais la vérité, c'est que la mode était passée, de la même manière que les serials (basés sur le même système) disparaissaient au cinéma. Le travail d'édition devint très différent, il fallut réinventer de nombreuses parutions (des magazines comme Argosy ou Amazing, qui survécurent aux forties, devinrent de véritables "magazines", au sens où on l'entend aujourd'hui) et l'activité d'écrivain passa par la case reliée (les 'ricains disent "paperback"). On en garda néanmoins une trace vivace dans un média tout proche qui naquit dans son ombre à l'aube des 30's : les comics.

Et puis plus rien.

Plus rien ou presque, car entre les évolutions des médias que sont la télévision et le cinéma et le développement d'une véritable paralittérature (dite de genre, voire "de gare"), le pulp acquit progressivement un statut culte, essentiellement au travers de la longévité de ses éditeurs et auteurs emblématiques qui continuèrent à publier bien au delà des 60's, mais aussi à quelques malandrins comme Lyon Sprague de Camp et Lin Carter qui, soucieux de permettre aux public du jour de profiter des gloires du passé, adaptèrent Conan et la fantasy pré-Tolkien à leur époque (et, n'en déplaise aux intégristes, je trouve le Conan de de Camp au moins aussi intéressant que celui d'Howard).
Le format même du pulp magazine étant mort et la littérature s'étant soigneusement genrifiée dans des cases avec le temps, il est devenu difficile (voire tout simplement illogique) de parler pulp en dehors du contexte des "années d'avant", mais on trouve encore un caractère "pulp" dans nos fictions paralittéraires. Un parfum d'aventure, un côté ancienne école simple et entraînant. Moi, j'y range principalement les récits d'aventure héroïques au long cours plus ou moins désuètes et inclassables et, de fait, à l'image de ce que fut la saga Indiana Jones au cinéma, on pourrait citer Perry RhodanBob MoraneAkim, Blade, voyageur de l'Infini, The Amazing Spider-Man et tout un tas de trucs publiés dans des formats nouveaux (livres de poche, bandes dessinées petit format, fascicules divers...) et qui, de par leurs sujets et/ou styles, doivent tout au pulp. Du post-pulp ?

Mais reprenons le fil de notre histoire. En 1994, Quentin Tarantino réalise Pulp Fiction et lance une nouvelle mode "pulp". Seulement voila, le pulp de Tarantino n'a rien, strictement rien, à voir avec le pulp que je viens de vous décrire. Tarantino, s'il écrit des films de gangsters à la petite semaine et avoue être un grand amateur de magazines comme Black Mask (qui fut un des titres de travaux de Pulp Fiction) dont les histoires tournaient autour des mafias chicagolaises de l'époque, se plait néanmoins à croiser des intrigues et à faire du cinéma "coup de poing", hyper graphique et aux dialogues ciselés, typique des années 70. Il y a peut-être, peut-être, aussi un peu de sel "Noir" pour aromatiser, mais Tarantino réalise avant tout du cinéma de post-exploitation, reprenant et réarrangeant à son compte les codes d'un cinéma très particulier des 70's. Il ira d'ailleurs au bout de cette logique, une dizaine d'années plus tard, avec Kill Bill (Grindhouse est à ranger à part, c'est avant tout le bébé de Robert Rodriguez).

Le problème, c'est qu'en réalisant un film d'exploitation avec une étiquette pulp, Tarantino a lancé une véritable vague d'abus de langage dans la critique cinématographique qui considère aujourd'hui les Donnie Darko, Mulholland Drive, Sailor et Lula et autant de films "de gangsters", pourvus qu'ils aient un sens graphique plus ou moins affirmé, comme du pulp. Même une comédie comme Snatch ou le (plus ou moins) récent Drive, qui n'a strictement rien à faire là, se sont vu affublés de cette étiquette par bien des critiques.

Evidemment, la raison principale de cet abus est le lien que beaucoup s'amusent à chercher avec le film de l'ami Quentin, mais il y en a une autre, plus retorse, qui consiste tout simplement à soigneusement éviter de nommer "film noir" des films qui, indiscutablement, sont du noir, mais sont trop abusifs, abrasifs, pas assez sérieux, trop "BD", pour qu'on puisse oser les ranger dans la même case que les classiques Hitchockiens des 50's. Sin City, c'est du noir de BD, excessif et over-the-top (c'est du Frank Miller, en même temps), mais c'est du noir, pas du pulp, certainement pas du pulp.
La différence entre le pulp et le noir, c'est un peu comme quand on passa plus tard de l'âge d'or du western hollywoodien à son cousin spaghetti italien. Les héros deviennent bougons, égoïstes, cyniques, alcooliques et fumeurs, leurs idéaux n'en sont plus et leurs codes moraux sont loin d'être la défense de la veuve et de l'orphelin des héros pulp (tout violents fussent-ils, le Shadow et le Spider restent des héros altruistes). La différence majeure, néanmoins, reste le ton résolument réaliste des intrigues du noir, là où le pulp verse facilement dans la SF ou le fantastique, avec des héros surhumains survivant à n'importe-quelles situations et ce que les anglophones nomment "a sense of wonder".

Si vous voulez un feeling proche du pulp au cinéma, l'immortel exemple parmi les exemples reste James Bond, espèce de Simon Templar (Le Saint, personnage créé en 1928 et héros de centaines de romans, shows radiophoniques, bandes dessinées et séries TV) gadgetisé à l'excès et gonflé à l'espionnage de la Guerre Froide. Les amateurs jetteront également  un oeil du côté des studios Hammer, célèbres pour leur surabondance de films d'horreurs à licences dans les 50-60's, mais qui ont également un large éventail de films d'aventures débridés et de SF "vintage" pleine de monstres en carton. En parlant de SF, les studios Universal furent prolifiques à la même époque en adaptant à peu près tout ce qui leur passait sous la main, de classiques tels La Guerre des mondes de Wells ou Ben Hur (publié en 1880 par un général de l'armée nordiste) jusqu'aux plus obscurs scénarios, émergeant de ce brouhaha quelques gemmes aujourd'hui considérées classiques comme Le Jour où la Terre s'arrêta ou La Planète interdite. Et que penser des monstres géants de Ray Harryhausen ? (Au passage, King Kong est probablement le premier grand film totalement pulp de l'histoire d'Hollywood).
Dans les années 70, en Angleterre, Amicus Production s'offrit une quadrilogie "Continents Perdus", adaptant dans le lot trois romans d'Edgar Rice Burroughs. Toujours active, la Hammer s'amusa avec le temps et créa des idioties aussi inutiles qu'amusantes avec demoiselles en bikini de peau et dinosaures en plastique (One Million Years BC, When Dinosaurs Ruled the Earth...). Dans le même temps, Hollywood découvrait les joies de La Guerre des étoiles, dont le concept éminemment flashgordonien n'aura échappé à personne.
Esthétique et effets spéciaux plus ou moins volontairement cheap se démocratisèrent dans les 80's. On développa un goût certain pour le "cheesy" et le "camp" (deux équivalents de "ringard" en anglais) et des choses "typiquement 80's" comme Invasion Los Angeles ou Jack Burton dans les Griffes du mandarin de Carpenter sont ce que vous pouvez trouver de plus proche du pulp d'aventure, débridé et résolument fun. Au passage, même New York 1997 est inspiré d'une histoire du Spider.
Et Indy. Bien sûr. Indy.
Les années 90 post-BatmandeBurton vécurent un revival pulp héroïque intéressant, au Rocketeer (qui n'est pas un personnage d'époque, il fut créé en 1982 par Dave Stevens) de 1991 succédant un Shadow (1994) fort réussi et un Phantom (1996) ridiculement cheesy (donc indispensable), sans compter la tentative résolument cartoon du Mask. Loin des spandex et des capes qui volent, n'oublions pas non plus une (ennième) résurrection de La Momie sauce Indiana Jones en roue libre (et, en vérité, toute la filmo de Stephen Sommers), et la cent-quatrième adaptation de Zorro, en comédie familiale.
Depuis le début des années 2000, outre le délire numérique du Sky Captain (qui n'a malheureusement pas déchaîné les foules), c'est principalement vers les adaptations de super-héros, les descendants directs du pulp d'autrefois, qu'il faudra vous tourner. Et si vous avez un doute concernant les épisodes dédiés à Hulk ou aux X-Men, le Thor de Kenneth Brannagh et sa fantasy kitsch et Captain America: The First Avenger et son style rétro-futuriste (réalisé par ailleurs par Joe Johnston, auquel on devait Rocketeer), eux, transpirent le pulp par tous les pores. Idem pour Avengers et ses méchants de l'espace, qui se fait, à mi chemin entre la débauche d'un Independance Day et les films d'invasions martiennes plus cérébraux des fifties, l'illustration parfaite des penchants les plus excessifs des pulps de SF. Quant à Iron Man, sachant qu'il est le Batman de Marvel et, de fait, un énième Shadow, vous pouvez faire le calcul vous-même.
Evidemment, il n'y a pas que les super-héros de Marvel (par contre, si vous pensez voir du pulp chez le DC Comics sombre et violent de Nolan et Snyder, vous pouvez changer de lunettes). Jetez un oeil curieux vers le Hellboy de Guillermo Del Toro, une autre adaptation de comics mais tirée celle-là en grande partie de la mythologie lovecraftienne, ou la SF complètement pop de Riddick (surtout celle des Chroniques de 2004 et leur final Conanien*). Tentez la spy-fy débridée du Mission:Impossible sauce Tom Cruise (surtout celui de Brad Bird - d'ailleurs, regardez Les Indestructibles, best superhero movie ever). Et regardez le John Carter de Disney, bordel de Dieu.




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*Je suis d'ailleurs toujours très fâché, après avoir poireauté neuf ans, de m'être fait voler mon King Riddick comme je m'étais fait volé King Conan étant môme, pour n'avoir finalement droit qu'à un bête (quoiqu'amusant) film de monstres.

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